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de pairs actuels auxquels, pour les rendre héréditaires, je ne demanderais qu’une chose, c’est qu’ils fussent leurs petits-fils. M. Bérenger comprenait fort bien cette différence quand il disait que l’hérédité était une magistrature mise en dépôt dans un certain nombre de familles, constituées par cela gardiennes à perpétuité des lois et des libertés publiques.

Restaurer l’hérédité, ce serait blesser en pure perte le sentiment le plus révolutionnaire du pays, le sentiment de l’égalité qui ne supporte que les concessions qu’il fait lui-même, souvent sans le vouloir, et dans les temps tranquilles, comme aujourd’hui, il en fait beaucoup plus qu’il ne croit. Il faut donc le laisser se restreindre et se limiter lui-même ; il faut surtout se garder de lui demander une abdication publique, comme serait la restauration de l’hérédité. Il ne s’y déciderait jamais.

M. le comte Molé disait, en 1831, dans la discussion sur la pairie : « À mes yeux, l’hérédité est perdue, perdue sans retour. Je ne partage nullement l’espérance de ceux qui croient qu’on pourrait y revenir un jour. Il n’est pas aussi aisé de réédifier que de détruire. » Ne songeons donc pas à restaurer l’hérédité de la pairie ; mais examinons plutôt si l’abolition de l’hérédité est la seule cause de l’affaiblissement de la pairie.

Il y a eu, selon moi, en 1831, un plus grand mal pour la pairie que la perte de l’hérédité, c’est que, tout en lui ôtant l’hérédité, on l’a laissée pour le reste telle, qu’elle était ; c’est qu’on lui a enlevé le principe de sa puissance en conservant soigneusement les contre-poids destinés à contre-balancer et à contenir cette puissance. La pairie était un corps qui avait sa force et qui avait aussi ses limites ; on a détruit la force et maintenu les limites.

Expliquons cette grave erreur de la loi de 1831. M. Guizot disait dans son discours « La pairie réside dans trois élémens, trois conditions. Par la nomination royale, elle est monarchique et fortifie le gouvernement ; par le nombre illimité de ses membres, elle s’adapte bien à la monarchie constitutionnelle et tient bien sa place dans le jeu des trois pouvoirs ; par l’hérédité, elle est monarchique et libérale en même temps ; elle est politique. Si vous détruisez l’un de ces trois élémens, l’une de ces trois conditions, vous portez atteinte à la monarchie constitutionnelle, à son jeu libre et complet[1]. ». Les trois conditions sont nécessaires l’une à l’autre : elles forment un système

  1. Discours, page 16.
    « La pairie a vie telle qu’on nous la présente n’est pas un système ; elle n’est qu’une transaction ; elle n’est, en un mot, que l’hérédité mutilée. » (Discours de M. Molé, 22 décembre 1831.)