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Dans nos affaires intérieures, il n’y a en ce moment qu’une question à l’ordre du jour ; mais elle est si grosse, qu’elle suffit à servir de pâture à tous les esprits, à toutes les passions : On a nommé les chemins de fer. Nous dirions volontiers qu’ils ont fait explosion. Cette grande industrie, cette vaste spéculation qui doit exercer une incalculable influence sur l’ensemble de notre civilisation, est entrée dans nos mœurs avec une vivacité éclatante qui a mis tout en mouvement. Tout le monde s’est jeté dans l’opération des chemins de fer ; chacun a voulu y mettre ses capitaux, ses économies ou ses espérances. Que dénote cet empressement universel ? Rien à coup sûr qui nous doive affliger, car il prouve le bien-être du présent et la foi dans l’avenir. Ne craignons pas de penser et d’affirmer que les chemins de fer sont une source de richesses pour le pays et pour les intérêts privés. L’argent s’y porte avec une abondance que l’on s’expliquera, si l’on réfléchit que la province a toujours eu pour la rente une sorte d’antipathie secrète, que nous trouvons fort mal raisonnée, mais qu’il faut bien accepter comme un fait. La rente est un placement parisien dont la province se défie ; pour les chemins de fer, ses sentimens ont été tout autres. Les chemins de fer sillonneront la France dans tous les sens ; chacun espère voir son capital fructifier sous ses yeux, et augmenter en même temps la somme de richesses et de bien-être de sa localité.

Voilà comment, voilà par où les chemins de fer sont une nouveauté merveilleuse, d’une utilité incontestable et universelle. Maintenant cette grande innovation n’a pu prendre parmi nous droit de cité sans apporter avec elle des abus, des excès. Eh bien ! il faut faire la guerre aux excès, aux abus, dans l’intérêt même du bienfait admirable que nous devons à la science. Au surplus, disons en passant qu’on aurait évité bien des scandales, si la prévoyance du législateur, au lieu d’interdire d’une manière absolue la vente des promesses d’actions, l’eût confiée aux agens de change ; alors ces transactions se fussent passées au grand jour, elles n’eussent pas été suspectes et douteuses. Il est des maux inhérens, à nos sociétés modernes qu’on ne peut extirper, et qu’il faut plutôt se proposer d’amortir par une action sagement combinée. On a manqué de cette sagesse dans la question des chemins de fer. Aussi bientôt des spéculations effrontées sont venues jeter le trouble et le discrédit dans les opérations honorables de la grande industrie. Le scandale a été poussé si loin, que l’autorité a cru devoir prendre une mesure grave ; elle a fait saisir les livres d’un comptoir connu pour se livrer à la vente des promesses d’actions de chemins de fer ; on y cherchait la preuve du trafic, illégal auquel se livraient les compagnies elles-mêmes sur les promesses d’actions, avant de les répartir entre les souscripteurs. Cette preuve, nous ignorons si elle a été trouvée, nous ne sommes point dans les secrets du parquet ; mais quel symptôme qu’une pareille poursuite !

Il y a aussi des compagnies notoirement insuffisantes qui ne s’élèvent que dans l’espérance de se faire absorber par d’autres, et de mettre un prix à leur disparition : concurrence non plus sérieuse, mais déloyale, qui peut jeter la perturbation sur la place. Il y a des compagnies, au contraire, qui dé-