Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/511

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre hospitalière où les exilés viennent rêver à la liberté. Ce sont surtout ces traces douloureuses des vaincus qu’il cherche sur le sol de la France. Tantôt il s’assied au milieu d’un groupe d’Espagnols, et il sait donner à leurs récits un intérêt, une vivacité toute dramatique. Le plus souvent, comme on pense bien, il songe à ses frères d’Allemagne, il adresse à M. Venedey de poétiques consolations qui rappellent encore çà et là quelques pages de Lamartine, les vers à M. Xavier de Maistre :

O sensible exilé ! tu les as retrouvées,
Ces images de loin toujours, toujours rêvées !


car le poète entrevoit l’avenir, et il annonce déjà au proscrit le prochain retour sur la terre natale. Il s’en va ainsi de tous côtés occupé à consoler les cœurs, à honorer les souvenirs. Je le rencontre un peu plus loin, au Père-Lachaise, devant une tombe déserte, celle de Louis Boerne peut-être. Au milieu de ces soins religieux, ne soyez pas surpris que sa pensée ; par instans, s’exalte et s’emporte. Il y a une pièce très brillante, très poétique, très hostile à la France, qu’il a intitulée la Place Vendôme. Sur les bas-reliefs qui couvrent la base de la colonne, il a reconnu les soldats allemands vaincus par Napoléon. C’est le soir, la nuit tombe ; or, il lui semble entendre les voix irritées du bronze ; tous ces vaincus se révoltent et veulent briser leurs chaînes. Le bruit s’accroît à chaque minute ; on dirait, tant les vers du poète grondent avec colère, on dirait que sa menaçante prophétie se réalise déjà, et que les tables d’airain, éclatant tout à coup, vont renverser la colonne. Pardonnons-lui : il cherchait partout les exilés, les cœurs souffrans, et, dans l’exaltation de sa tristesse, il a été troublé par ces voix désespérées qui l’appelaient.

Je l’aime bien mieux toutefois quand il consacre en des strophes touchantes une douleur plus vraie, point imaginée, point fantastique, une douleur personnelle et pourtant commune à plus d’un parmi ses frères d’exil. C’est le soir, la veille de Noël, à l’heure où commencent, au-delà du Rhin, dans toutes les familles, ces charmantes fêtes que l’étranger n’oublie jamais quand il y a été admis, et dont le souvenir est si doux au cœur des Allemands. L’arbre aux mille branches, le chêne germanique s’élève au milieu de la chambre, couvert de petites bougies et pavoisé de girandoles flottantes ; à l’ombre de l’arbre, sur un tapis de mousse, se promène le petit Christ, das Christlein, avec sa provision de présens. Tandis que ces naïves images se réveillent dans la pensée du poète, il est seul, à Paris, errant par les rues tumultueuses