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M. Prutz seront oubliés depuis long-temps, quand la gloire prématurée de M. Herwegh aura été réduite comme il convient, on se rappellera encore les chants mélancoliques du Veilleur de Nuit, ses promenades silencieuses dans les rues désertes,ses réflexions désolées, interrompues de loin en loin par ce timbre qui sonne lentement les heures noires. Ce livre, assurément, n’est pas sans reproche, nous avons dû y signaler des parties bien faibles[1] ; la fin surtout est manquée presque entièrement, car les premiers chants, si fermes, si ingénieux, éveillent vivement l’imagination du lecteur, et, quand on arrive au sujet véritable la pensée du poète se trouble tout à coup et oublie ses promesses. Pourtant, malgré ces défauts considérables, on reconnaissait dans ce livre la main d’un jeune maître, d’un maître déjà habile et désigné à l’attention des amis de la poésie ; une véritable distinction de forme, un sentiment très fin de la composition, un art délicat et ferme, lui marquaient une place à part, au milieu de ces chants déclamatoires que les jeunes écrivains démocrates venaient de jeter dans la mêlée. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de politique. Le volume dont j’ai parler est un recueil de poésies écrites à différentes époques, depuis les débuts de l’auteur jusqu’aux évènemens d’hier ; elles embrassent ainsi toute une période importante de la vie (lu poète, et nous font assister à l’histoire de sa pensée.

M. Dingelstedt est né en 1814 dans une petite ville de Hesse électorale, à Rinteln, sur le Weser. Après ses études d’université à Marbourg et à Goettingue, il obtint, en 1836, une chaire d’histoire au collége Frédéric, à Hesse-Cassel. C’est de cette époque que datent les premiers vers du poète. L’inspiration y est pleine de fraîcheur et de grace ; la jeunesse ne lui a encore apporté que d’heureuses journées, ou bien quelques-unes de ces souffrances voilées, discrètes, tant aimées des poètes, et qui font partie du bonheur. Ce calme ne se prolongea pas long-temps. C’était le moment où le gouvernement de la Hesse électorale, vers 1837, entrait dans cette voie de tyrannie mesquine et odieuse qui a excité par toute l’Allemagne la réprobation des ames honnêtes. Parmi tant d’actes ridicules ou révoltans, il suffit de rappeler l’arrestation de M. Sylvestre Jordan, professeur à l’université de Marbourg, sa détention cruelle, et la marché insolemment inique de la procédure. On sait combien cette affaire a soulevé l’indignation publique. M. Dingelstedt prit aussitôt la plume, et lança au milieu des

  1. Voyez dans la livraison du 1er juin 1844 : De la littérature politique en Allemagne. — La Poésie et les Postes démocratiques.