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fois à risquer de les contrarier, quand nous ne faisons que nous défendre ?

Benjamin Constant a été un grand esprit, et il a eu un assez grand rôle ; politiquement et à travers quelques inconséquences singulières, il a rendu des services à une cause qui était, en somme, celle de la France. Par sa parole, par ses écrits, il a contribué à répandre des vérités ou théories constitutionnelles qui avaient alors tout leur prix et qui peuvent avoir encore leur utilité. Je ne suis pas de ceux qui oublient ces services, et qui sont tellement absorbés dans le point de vue psychologique, que tout souvenir patriotique s’y anéantit. Je ne me suis jamais proposé pour sujet d’embrasser par une étude La carrière publique de Benjamin Constant, d’autres (et M. Loève-Veimars par exemple) l’ayant fait avant moi et de manière à m’en dispenser. Que si vous me replacez le spirituel tribun dans les chambres passionnées de la restauration, en face de cette meute d’ennemis acharnés et inintelligens qu’il déconcerte et qu’il irrite par ses ironies, je sais bien lequel j’applaudissais. Mais il vient un moment où l’on a droit de juger à son tour ceux qui vous ont précédé et guidé, surtout si tout le monde les juge, et si eux-mémes, hommes de publicité et de parole, ils ont provoqué ce regard scrutateur par toutes sortes d’éclats, d’indiscrétions moqueuses et de confidences à haute vois. Il est très permis alors de pénétrer dans les coulisses de cette scène où l’acteur tout le premier vous a introduit, et de lire, s’il se peut, avec l’impartialité du moraliste, sous le masque, de tout temps très mal attaché, de celui que la popularité proclama un grand citoyen, et qui fut seulement un esprit supérieur et fin uni à un caractère faible et à une sensibilité maladive. J’ignore s’il est quelqu’un de nos amis qui ait su garder, à travers les épreuves diverses, cette fleur de libéralisme primitif, de libéralisme pour ainsi dire platonique et en dehors de toute action, et cette tendresse extrême de conscience qui ne souffre examen ni doute à l’endroit des anciennes idoles ; s’il en est de tels, je les admire et je les envie. Quant à moi, qui suis loin d’un tel bonheur, je veux profiter du moins des bénéfices de l’expérience en même temps que des amertumes, et je ne me croirai jamais réduit à un point de vue exclusif, comme on m’en accuse, parce que je m’appliquerai de mon mieux à voir réellement les choses et les hommes tels qu’ils sont.

Qu’avons-nous donc fait avec Benjamin Constant ? Une masse de pièces authentiques, de révélations directes, nous était confiée ; nous ne pouvions tout produire, et nous nous en remettions de ce soin à qui de droit. En attendant, nous en avons tiré, à l’usage de notre public,