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LE COMTE

En vérité, vous êtes décourageante, et je me réjouirai de bon cœur quand vous y serez prise à votre tour.

LA MARQUISE

Moi aussi, je m’en réjouirai. Je vous jure qu’il y a des instans où je donnerais de grosses sommes pour avoir seulement un petit chagrin. Tenez, j’étais comme cela pendant qu’on me coiffait, pas plus tard que tout à l’heure. Je poussais des soupirs à me fendre l’ame de désespoir de ne penser à rien.

LE COMTE

Raillez, raillez, vous y viendrez.

LA MARQUISE

C’est bien possible ; nous sommes tous mortels. Si je suis raisonnable, à qui la faute ? Je vous assure que je ne me défends pas.

LE COMTE

Vous ne voulez pas qu’on vous fasse la cour.

LA MARQUISE

Non. Je suis très bonne penne ; mais, quant à cela, c’est par trop bête. Dites-moi un peu, vous qui avez le sens commun, qu’est-ce que signifie cette chose-là : faire la cour à une femme ?

LE COMTE

Cela signifie que cette femme vous plaît, et qu’on est bien aise de le lui dire.

LA MARQUISE

A la bonne heure ; mais cette femme, cela lui plaît-il, à elle, de vous plaire ? Vous me trouvez jolie, je suppose, et cela vous amuse de m’en faire part. Eh bien, après ? Qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce une raison pour que je vous aime ? J’imagine que, si quelqu’un me plaît, ce n’est pas parce que je suis jolie. Qu’y gagne-t-il, à ses complimens ? La belle manière de se faire aimer que de venir se planter devant une femme avec un lorgnon, de la regarder des pieds à la tête, comme une poupée dans un étalage,et de lui dire bien agréablement : Madame, je vous trouve charmante ! Joignez à cela quelques phrases bien fades, mi tour de valse et un cornet de bonbons, voilà pourtant ce qu’on appelle faire la cour. Fi donc ! comment un homme d’esprit peut-il prendre goût à ces niaiseries-là ? Cela me met en colère quand j’y pense.

LE COMTE

Il n’y a pourtant pas de quoi se fâcher.

LA MARQUISE

Ma foi, si. Il faut supposer à une femme une tête bien vide et un grand