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raison, tout ce qu’ils n’ont pas perdu. Quant au parti agricole, cela est évident, et résulte du seul rapprochement que chacun peut faire entre le budget des whigs et le budget de sir Robert Peel. La chose est moins claire pour le parti ultra-protestant ; mais ce parti doit se souvenir que, pendant deux années, sir Robert Peel a fait bien peu en friande. C’est l’agitation de 1843 qui lui a ouvert les yeux, qui lui a forcé la main, ou, pour mieux dire, qui l’a rendu à ses tendances véritables en l’affranchissant du joug de son parti. C’est cette agitation, en un mot, qui l’a placé entre une crise sanglante et des concessions raisonnables Fallait-il, pour complaire à des passions qui n’étaient pas les siennes, qu’il jouât le sort de l’empire dans les hasards de la guerre civile ? ou bien fallait-il, pour expier un tort passager, qu’il quittât le ministère, laissant, à de plus fermes amis de l’Irlande le soin de gouverner le pays ? C’était peut-être la résolution la plus noble ; mais peu de ministres s’y fussent résignés, et ce n’est certes pas aux ultra-protestans que cette résolution eût profité.

Il faut le dire nettement, et la dernière session l’a prouvé, la majorité de sir Robert Peel se partage réellement en deux fractions distinctes : l’une qui marche avec le siècle et qui répudie les principes du vieux torisme ; l’autre, pour laquelle ces principes sont toujours vénérables et sacrés. Comme celle-ci s’adresse à des passions ardentes et à des intérêts tenaces, elle impose à celle-là certaines concessions et certaines promesses ; mais ces concessions sont déraisonnables, ces promesses sont absurdes, et le courant des évènemens les emporte inévitablement. De là des colères et des récriminations qui sont fondées dans une certaine mesure, mais qui ne sauraient rétablir une cause désespérée. Il ne faut pas que les ultra-tories s’y trompent. Depuis les beaux temps de lord Eldon, le niveau politique a singulièrement monté dans les deux chambres, et les tories de 1825 sont, à beaucoup d’égards, plus avancés que les whigs de 1825. Parmi les caricatures qu’a enfantées la dernière crise, plusieurs tendances à mettre en relief cette idée, que les tories se font les copistes des whigs. Ici ce sont sir Robert Peel et lord John Russell que l’on montre sous la forme de deux sosies. Là, parodiant un pas de ballet nommé le pas des miroirs, on place en face d’une glace le ministère whig, dont les attitudes et les mouvemens sont le ministère tory. Dans toutes ces plaisanteries on oublie une seule chose : c’est que les whigs ont marché en même temps que les tories, et que le terrain qu’ils occupaient, il y a six ans, n’est plus celui qu’ils occupent aujourd’hui. Si Robert Peel se trouve où se trouvait lord John Russell, lord John