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et de plaire à la fois aux planteurs et aux abolitionnistes. Il demandait au parlement de ne pas se prêter.à une telle jonglerie. Après lord John Russell vint M. Macaulay, qui, dans un discours substantiel, énergique, irrésistible, fit bonne et pleine justice des sophismes ministériels. « L’Angleterre, s’écria-t-il, déteste l’esclavage, mais elle « ne se croit pas chargée de réformer la législation intérieure des autres pays. Qui empêche, si l’on entre dans une telle voie, qu’un beau jour l’empereur de Russie ne dise à l’Angleterre : Je ne prendrai vos étoffes que si vous adoucissez le sort si déplorable de vos classes ouvrières ? — Qui empêche que, de son côté, l’Angleterre ne dise à l’empereur de Russie : Je ne prendrai votre chanvre que si vous affranchissez vos serfs ? Tout le monde sait d’ailleurs que l’esclavage est cent fois pire aux États-Unis d’Amérique qu’au Brésil. Et pourtant l’Angleterre ne se fait point scrupule de consommer le coton ou le tabac des États-Unis. Qu’on en finisse donc avec toute cette hypocrisie, et qu’on cesse de couvrir de ridicule la philanthropie anglaise, cette philanthropie si rigide pour le sucre, si accommodante pour le coton et le tabac ! Qu’on le sache bien d’ailleurs, en s’y prenant ainsi, on risque de mettre partout l’esclavage sous la protection d’un mot sacré, celui de l’indépendance nationale. Peut-être cela est-il indifférent à ceux qui, après avoir si long-temps défendu cette odieuse institution, affectent aujourd’hui de s’en faire les adversaires fanatiques ; mais les amis sincères de l’humanité doivent se méfier d’une telle tactique et ne pas sacrifier à de vains prétextes les vrais principes et le bien-être des classes pauvres. »

Il faut le dire, à ces raisons tout-à-fait décisives, M. Goulburn, sir James Graham, M. Gladstone, sir Robert Peel lui-même, n’opposèrent pas un argument passable ; mais le vote répondit pour eux, et l’amendement de lord John Russell fut rejeté à 236 voix contre 142. Quant au reste du plan financier, c’est à peine s’il souleva quelques objections de détails.

Ainsi, au grand désappointement de ses adversaires, au plus grand regret d’une portion de ses amis, sir Robert Peel, par la hardiesse de ses mesures, par la fermeté de son attitude, venait, en peu de jours, d’achever presque sans difficulté une grande révolution financière, et d’en préparer une plus grande encore. Aux vieux adversaires de M. Huskisson et de la liberté commerciale, il avait, deux fois en trois ans, fait voter des réformes qui eussent effrayé M. Huskisson, et qui faisaient faire à la liberté commerciale un pas considérable. Il avait