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fût l’argument, l’expérience l’avait jusqu’à ce jour complètement démenti. Encore trois ans de persévérance, et la question serait définitivement jugée ; le parlement pourrait dire alors si le gouvernement avait bien ou mal entendu les vrais intérêts du pays.

J’ai réduit aux termes les plus simples le magnifique exposé que fit à cette occasion sir Robert Peel, exposé qui dura trois heures, et qui, d’un bout à l’autre, excepté lorsqu’il annonça une augmentation d’un million pour la marine, fut accueilli par des acclamations réitérées et à peu près unanimes. Au dehors, l’effet fut plus grand encore, plus général, et surtout plus durable. Deux jours en effet ne s’étaient pas écoulés avant que, revenus de la première surprise, whigs et tories se demandassent quel rôle sir Robert Peel leur faisait jouer, et s’ils pouvaient lui prêter assistance, ceux-là contre leurs intérêts de parti, ceux-ci contre leurs vieux principes ; cependant l’opinion publique se prononçait avec une telle force, avec un tel ensemble, que, pour les whigs comme pour les tories, la résistance devenait difficile. Partout sur les murs de Londres le free trade budget (budget du commerce libre) apparaissait en gros caractères, et, de toutes les villes industrielles du royaume, chaque courrier apportait les adhésions les plus vives et les plus significatives. Force était donc aux whigs de louer et d’aider leurs adversaires, aux tories de faire un pas de plus dans la voie, si long-temps détestée par eux, de la liberté commerciale. Sans nier la grandeur et la hardiesse du plan de sir Robert Peel pris dans son ensemble, les whigs résolurent néanmoins d’en attaquer quelques parties, l’income-tax notamment ; mais, comme l’income-tax et la réforme commerciale tenaient l’une à l’autre par un lien indissoluble, les whigs, après quelques passes d’armes plus ou moins heureuses, finirent par voter toutes les deux. Il n’y eut, à vrai dire, de débat sérieux que sur un amendement de M. Buller, qui proposait d’établir entre les revenus territoriaux et les revenus professionnels ou industriels une distinction équitable. À ce sujet, plusieurs orateurs, M. Sheil notamment, attaquèrent vivement la taxe comme immorale, comme injuste, comme pernicieuse, et lord John Russell reconnut la nécessité d’en modifier l’assiette, si elle était maintenue. L’amendement de M. Buller n’en fut pas moins rejeté par 240 voix contre 112, et la taxe elle-même en définitive passa presque sans opposition. « Il est déplorable, disaient le lendemain quelques journaux le nuances diverses, de voir sir Robert Peel obtenir ainsi tout ce qu’il veut. Sa force est dans la connivence des libéraux et dans le découragement des tories. » Dans ce jugement un