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d’un athénée populaire, avec les chefs de la ligue, et présentait le curieux spectacle de M. Smythe et M. Cobden, de lord John Manners et M. Gibson, assis fraternellement l’un à côté de l’autre, sous la présidence de M. d’Israëli, et rivalisant d’ardeur pour l’amélioration du sort des classes ouvrières. Le lendemain, elle se transportait à Bingley pour célébrer, sous la présidence de M. Bushfield-Ferrand, l’établissement de petits jardins au profit des ouvriers, et pour procéder à l’installation d’un cricket-club (le cricket est une espèce de paume). Joignant l’exemple au précepte, M. Ferrand et lord John Manners débutaient par faire publiquement ensemble une partie de cricket, après quoi lord John Manners, dans un discours fleuri, célébrait ce beau jeu comme un lien harmonieux entre l’aristocratie et le peuple, et faisait des vœux pour qu’il pût, par toute l’Angleterre, fortifier les corps et rapprocher les cœurs. Tout le monde déplorait donc la misère des classes pauvres et offrait son remède : la ligue, l’abolition des lois des céréales et de toutes les prohibitions commerciales ; les tories philanthropes, l’abréviation du temps du travail et quelques mesures charitables ; la jeune Angleterre, la création de petits jardins et le jeu de cricket. Tout cela n’était pas également sérieux, également praticable ; mais tout cela annonçait de prochains orages et promettait à sir Robert Peel une session difficile.

Une autre circonstance venait compliquer la situation, et obliger sir Robert Peel à prendre un parti définitif. C’est en 1845 qu’expirait l’income-tax, et que sir Robert Peel devait ou la laisser tomber, ou en demander le renouvellement. Or, le produit des impôts, insuffisant en 1843, avait été satisfaisant en 1844, et présentait en 1845 un excédant considérable. Il ne manquait donc pas, parmi les tories comme parmi les whigs, de conseillers bienveillans ou malveillans qui suppliaient sir Robert Peel de renoncer à une taxe aussi injuste que pesante, ou qui le menaçaient d’un échec infaillible, s’il persistait à l’imposer an pays.

Au milieu de tout cela, plus solitaire, plus réservé que jamais, sir Robert Peel gardait un silence absolu, et ne laissait soupçonner à personne quels pouvaient être ses projets. Si je suis bien informé, quelques-uns de ses collègues même ne les connaissaient pas complètement, et attendaient, comme le public qu’en présence du parlement assemblé la lumière se fît. Trois jours avant la session, une modification eut pourtant lieu dans le cabinet, qui, aux yeux les moins clairvoyans, parut présager de graves déterminations. Depuis quelques mois déjà, le ministre des colonies, lord Stanley, avait