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O’Connell, qui jusqu’alors les avait repoussés péremptoirement, se déclara prêt à les examiner et à les accepter, pour peu qu’ils fussent praticables. Il ajouta que, si les protestans voulaient la paix, il la voulait également, et qu’il consentait, dans la lutte nouvelle qui se préparait, à reconnaître pour chefs M. Grey-Porter, M. Sharman-Crawford et M. Hutchinson.

Au fond, entre le rappel pur et simple, tel qu’O’Connell l’avait toujours demandé, et le rappel fédéraliste, tel qu’il semblait s’y rallier, la différence était plutôt nominale que réelle. Il est bon d’ajouter, en revanche, que les mêmes difficultés, les mêmes impossibilités existaient pour l’un et pour l’autre. De quelques mots que l’on se serve, il faut que le parlement irlandais ait ou n’ait pas le droit d’influer par ses votes, au même titre que le parlement anglais, d’une part sur le choix du pouvoir exécutif, de l’autre sur les questions religieuses, sociales, politiques, qui font la vie et la grandeur des états. S’il a ce droit, c’est une séparation véritable ; s’il ne l’a pas, une complète abdication. Or, pas plus que MM. Grey-Porter et Sharman-Crawford, O’Connell ne veut d’une séparation qui rallumerait entre les deux pays, entre les deux peuples, une guerre acharnée. Pas plus qu’O’Connell, MM. Grey-Porter et Sharman-Crawford ne veulent d’une abdication qui replacerait l’Irlande dans la condition dépendante où elle était avant 1782. Pour ceux-ci comme pour celui-là, il y avait donc non pas une question de principe à vider, mais une question de fait à résoudre. Quand il invitait les fédéralistes à produire leur plan, au lieu de produire le sien propre, O’Connell agissait avec habileté, puisque d’une part il gagnait du temps, et que de l’autre il rejetait sur M. Grey-Porter et M. Sharman-Crawford une charge dont il connaissait toute la pesanteur. De plus, il se montrait conciliant, et pouvait peut-être gagner à sa cause certains protestans d’Irlande, quelques réformistes d’Angleterre.

J’en ai dit assez pour faire comprendre que la conduite d’O’Connell à cette époque pouvait se justifier par de très bonnes raisons. Il n’en est pas moins vrai qu’il faisait, en apparence au moins, un pas en arrière, et qu’il trompait ainsi l’attente universelle. Aussi la portion la plus jeune, la plus énergique, la plus convaincue de l’association, n’hésita-t-elle pas à entrer en lutte avec lui. La raison en est simple. Quand O’Connell disait que les deux pays devaient rester unis par le moyen d’un seul pouvoir exécutif et du lien doré de la couronne, O’Connell disait sa pensée ; mais la Jeune Irlande, plus conséquente, plus hardie, avait toujours été plus loin que son chef, et vu dans le