Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répondre à cette pensée ; ils ont adopté Ronge. Vienne un homme éminent qui comprenne et exprime avec aisance les besoins religieux, de ces catholiques, vous les verrez, pour le suivre, abandonner ce Jean Ronge, qui n’aura été qu’un précurseur. À tout cela vient se mêler la question de la liberté de conscience, et par là nous touchons à la politique. Voilà des catholiques qui demandent pourquoi ils n’auraient pas le droit de travailler à épurer leur religion suivant leur conscience et leurs lumières, et ils font cette question dans un pays fier d’avoir accompli, il y a trois siècles, une réforme basée sur le principe de la raison individuelle. Si on leur demandait des droits purement politiques, la réponse des gouvernemens allemands serait facile : ils repousseraient ce qu’ils appelleraient des innovations révolutionnaires ; mais la liberté religieuse a reçu au XVIe siècle une première et solennelle consécration contre laquelle il serait bien imprudent de vouloir revenir.

Comment le prince instruit qui gouverne la Prusse oublie-t-il des faits aussi simples ? C’est qu’à des connaissances variées et profondes Frédéric-Guillaume IV joint une imagination mobile, inquiète, irritable. Il est animé d’une noble ambition, car il voudrait être le plus populaire des rois et le chef moral de l’Allemagne ; malheureusement il n’est pas fixé sur la route qu’il doit prendre pour arriver à ce grand but. Il a commencé par se montrer favorable aux sages idées libérales ; plus tard, il a paru les craindre et s’en éloigner pour se jeter dans quelque chose de contraire et d’extrême. On l’a vu, dans ces derniers temps, faire à la municipalité de Berlin une sorte de profession de foi piétiste, et sortir de cette impartialité large et haute qui convient si bien à la royauté, soit en religion, soit en politique. Et puis, comment se fait-il que le roi d’une grande monarchie se trouve personnellement aux prises avec un conseil municipal, même quand il s’agit de la municipalité de sa capitale ? Les chefs des gouvernemens absolus ne songent pas assez combien il y a d’inconvenance et de danger à se mettre ainsi sans intermédiaires en face de certains corps et de certains hommes. Le roi de Prusse devrait aussi se défier davantage des Berlinois ; ils sont caustiques et malins, et ils ne sont pas, comme nous, blasés sur le plaisir de faire des épigrammes, car ils ont encore la censure.

Cependant, en Allemagne, il est un ministre dont le pouvoir s’étend tous les jours, et qui, sur le déclin de l’âge, grandit en autorité morale aux dépens même du roi de Prusse : on a reconnu M. de Metternich. Les conversations qui ont eu lieu au Johannisberg entre le premier ministre de la monarchie autrichienne et Frédéric-Guillaume IV ont exercé sur l’esprit de ce dernier une influence qu’on déplore en Allemagne. Il n’a pas été très difficile à ce vieux et profond politique de faire impression sur l’esprit du roi en lui montrant ce mouvement religieux qui occupe les imaginations en Allemagne comme l’avant-coureur des révolutions politiques. C’est pour cela sans doute que, de retour dans sa capitale, le roi de Prusse a si hautement défendu les piétistes contre la municipalité de Berlin.