D’ailleurs, les gouvernemens allemands, au milieu du mouvement religieux qu’ils sont occupés à surveiller, ont d’assez graves soucis qui pourraient un jour les absorber tout-à-fait. Cette considération n’échappe pas à la cour de Rome ; on y regarde avec une certaine inquiétude ce qui se passe en Allemagne, et bientôt on pourra s’y demander s’il ne viendra pas un temps ou la France serait un appui plus sûr que l’Autriche elle-même.
Nous ne sommes pas étonnés au surplus que les politiques habiles et les spectateurs intelligens que Rome a dans son sein soient attentifs au mouvement religieux qui agite l’Allemagne. Il souffle de l’autre côté du Rhin un esprit de réforme et d’innovation en matière religieuse que viennent encore exciter et compliquer des idées et des passions politiques. Ce sont deux causes d’agitation au lieu d’une. Il y a un an, un prêtre catholique, Jean Ronge, apostrophait à la face de l’Allemagne l’évêque de Trèves, pour lui reprocher l’adoration de la tunique du Christ, et il terminait la lettre qu’il adressait à ce prélat par cette phrase : « Déjà l’historiographe saisit le burin, et lègue votre nom, Arnoldi ; au mépris de la génération présente et future, en vous appelant le Tetzel du XIXe siècle. » Nous ne voulons pas examiner jusqu’à quel point l’évêque de Trèves peut être comparé à Tetzel, mais à coup sûr M. Ronge n’est pas un autre Luther. Aujourd’hui il semble tout étonné du rôle qu’il joue depuis quelques mois : il s’en excuse pour ainsi dire, il reconnaît qu’il n’a pas la taille d’un réformateur, mais il s’en console en songeant, comme il l’a dit à Francfort, que le temps des individualités est passé, et que celui des idées arrive. M. Ronge oublie que, sans les individualités, les idées feraient peu leur chemin. D’ailleurs, les réformateurs qui se sentent vraiment puissans ont moins de modestie ; ils ne s’humilient que devant Dieu, et ils ne déclinent pas l’honneur de dominer les hommes pour les charmer. Jean Ronge est un homme médiocre qui se tient lui-même pour tel. Cette médiocrité a pu donner le change à quelques esprits sur l’importance du mouvement même dont Ronge est en ce moment l’instrument. Ainsi, les ministres du grand-duc de Hesse-Darmstadt lui avaient assuré qu’on pouvait sans inconvéniens, sans dangers, laisser Ronge se livrer dans le grand-duché au rôle de prédicateur nomade. Cependant Ronge est parvenu, à Darmstadt, à rassembler un immense concours de peuple pour l’entendre, et il a parlé aux applaudissemens de la foule. C’est que ce prêtre, par son schisme, répond à des sentimens, à des passions qui ne faisaient que sommeiller chez beaucoup de catholiques allemands. De tout temps, il y a eu de l’autre côté du Rhin des catholiques qui ont nourri une secrète antipathie contre l’église romaine, antipathie qui a ses raisons dans la différence profonde des nationalités. Le christianisme en Italie et le christianisme en Allemagne ont toujours été, même avant le XVIe siècle, deux choses entièrement distinctes. C’est ce contraste si vif qui a rendu promptement possible la révolution religieuse entreprise par Luther. Il y a des catholiques allemands qui voudraient une réforme dans leur religion, sans pour cela embrasser le protestantisme. Ronge leur a paru