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service du docteur Falret une jeune Italienne qui s’était montrée, durant un jour et une nuit, fort tourmentée de la présence de trois hommes nus. Un simple bandeau appliqué sur les yeux de cette fille fit cesser la vision importune.

M. le docteur Moreau a également, dans ces dernières années, appliqué certains narcotiques au traitement des hallucinations. Son procédé présente une manière d’affinité avec l’homœopathie. Le datura stramonium, s’est dit ce médecin distingué, le hachich, l’opium, provoquent dans l’état sain des hallucinations ; ces mêmes substances ne pourraient-elles pas les guérir ? Il paraît que ce traitement a obtenu quelque succès entre les mains de l’auteur ; mais jusqu’ici il n’a pas réalisé, que nous sachions, les mêmes résultats entre les mains de ses confrères. Nous avons suivi nous-même dernièrement l’emploi du hachich sur trois hallucinés ; le résultat de l’absorption de cette substance fut de changer les visions ordinaires de ces malades en d’autres visions. Le fait est sans doute curieux, mais il nous semble très loin d’être concluant. Déplacer la nature de la folie, ce n’est pas la guérir.

La conclusion de cette étude est marquée par le but même que nous nous sommes proposé en commençant. Le fou, comme objet d’observation, appartient aussi bien au moraliste et au philosophe qu’au médecin. C’est dans l’analyse des facultés de l’homme, que la science doit chercher le germe des altérations qui les défigurent. D’un autre côté, l’examen des désordres de la folie est appelé à jeter par le contraste une vive lumière sur l’exercice des forces intellectuelles de notre nature. Cet examen nous apprend que l’homme moral est composé, comme l’homme physique, de membres distincts, de facultés diverses, et que chacune de ces facultés a ses maladies propres. Dans l’hallucination, c’est la faculté sensitive et créatrice d’images qui est lésée. Fait à la ressemblance de la Divinité, l’homme porte la trace de son auteur jusque sur ses infirmités et ses faiblesses. L’halluciné a voulu créer comme Dieu ; seulement, au lieu de faire des mondes, des réalités, des êtres, il a produit des chimères que son esprit égaré poursuit désormais dans les brouillards du délire.

Si la philosophie gagne à descendre sur le terrain des maladies mentales pour se faire une connaissance exacte de l’homme, il y a d’un autre côté avantage pour la science à s’élever vers la philosophie. Ce sont les doctrines du XVIIIe siècle qui dans la personne de Pinel ont créé la médecine des aliénés. La philosophie est destinée à exercer de nos jours une influence non moins décisive sur les progrès de cette science encore informe. Ce n’est pas seulement en tourmentant la