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servante dans la maison d’un curé, où elle avait sans doute entendu parler cette langue morte ; mais, hors de son délire, elle n’avait nulle idée du latin, et sans doute une très faible du français.


IV. – LES ANCIENS VISIONNAIRES. – LES HALLUCINES AU POINT DE VUE LEGAL.

Les visions que nous venons d’analyser chez les malades, nous les retrouvons chez tous les démoniaques, les sorciers, les pythonisses. Les mêmes effets doivent nécessairement dériver de la même cause. Le diable passait, au moyen-âge, pour le père des illusions. En effet, quand il donne un écu, c’est une feuille sèche : toujours l’apparence de la chose pour la chose, même. Il n’est guère d’établissement d’aliénés où il ne se rencontre au moins un malade qui passe toute la journée dans les cours à ramasser des cailloux ou des coquillages, qu’il prend pour des diamans, des antiquités, des pièces de monnaie. Quelques-uns serrent précieusement des morceaux de papier qu’ils regardent comme les titres de leurs châteaux en Espagne. On le voit, le caractère de l’illusion est exactement le même ; la folie paie tous ses enfans comme le diable payait autrefois ses affidés, en monnaie creuse, en assignats de l’enfer. Les historiens se sont souvent montrés surpris de l’opiniâtreté que les sorciers, hommes et femmes, déployaient au milieu des supplices. Cette circonstance n’a rien qui étonne le physiologiste. Nous retrouvons ce même entêtement chez tous les hallucinés. La cause en est bien simple : nous avons déjà dit que les hallucinés ne croient pas sentir ; ils sentent réellement. Comment faire désavouer à un homme ce que ses yeux ont vu, ce que son oreille a entendu, ce que ses mains ont touché ? Quand Pascal dit : « Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger, » ce grand philosophe s’engage, sans le savoir, à croire au témoignage de véritables fous. Les hallucinés ont été littéralement témoins de ce qu’ils racontent. S’ils disaient autrement, ils mentiraient. Aussi, toutes les fois que l’histoire nous présente l’existence d’une hallucination combattue par la société, nous pouvons être assurés de voir aussitôt les roues les bûchers, les croix s’élever de toutes parts, sans que tous ces tourmens arrachent au malheureuses victimes le désaveu de leurs visions. La pensée de Pascal n’est donc vraie que dans certaines limites. Sans doute l’esprit n’est jamais intéressé à se dévouer pour une erreur dont il a conscience ; mais les sens peuvent l’avoir trompé, et il agit alors comme si l’impulsion était véritable. La brutalité des cours