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de l’Allemagne et sur les affaires de la Suisse. Et cela importe d’autant plus que l’Histoire du Consulat et de l’Empire doit produire une impression plus vive sur les hommes politiques de la Grande-Bretagne. Nous nous préoccupons fort peu des injures adressées à M. Thiers par certains organes de la presse anglaise, mais nous désirons que les hommes d’état de l’Angleterre ne puissent sans injustice refuser de rendre hommage à la grave impartialité de l’historien français.

L’apparition du livre de M. Thiers, livre qui n’est pas moins européen que national, est un des traits caractéristiques de notre temps. Les époques pacifiques, l’histoire est là pour nous l’apprendre, se plaisent au récit des temps de gloire et de guerre ; c’est pour elles un plaisir de plus. L’historien, l’homme d’état auquel nous devons ces nobles émotions, a pensé sans doute qu’elles pouvaient aussi être fécondes en utiles enseignemens pour l’Europe comme pour la France. En effet, par le spectacle de toutes ces luttes dans le passé, de toutes ces coalitions, de tous ces prodiges, de tous ces excès de la gloire, on est ramené nécessairement au respect du droit, au respect de toutes les nationalités qui constituent la république européenne. Puisque ni Napoléon n’a pu asservir l’Europe, ni la paix, une paix digne pour tous, utile à tous, nous est donc indiquée comme la seule solution possible par ce passé même si tumultueux et si militaire. C’est une grande leçon politique que le livre de M. Thiers, leçon donnée à tous avec courage comme avec modération. Oui, M. Thiers a le courage de l’historien, mais dans les limites qu’il s’est tracées lui-même. Il y avait quelque simplicité à espérer qu’il irait se briser contre les écueils où il était attendu. D’un autre côté, ce n’est pas un des moindres mérites de son ouvrage que d’avoir déplu à toutes les opinions extrêmes : nous n’allons pas si loin que Bayle, qui prétend que la perfection d’une histoire est d’être désagréable à toutes les sectes et à toutes les nations ; mais il y a des partis et des écoles qu’une histoire vraiment digne de ce nom doit nécessairement irriter, puisqu’elle oppose à leurs passions et à leurs erreurs l’expérience du genre humain. Enfin, dans l’intérêt si cher à ce recueil de la saine et grande littérature : et en face de toutes ces œuvres dites d’imagination qui nous attristent aujourd’hui par leur volumineuse décadence, il est heureux que nous devions à la muse sévère de l’histoire politique un livre grave, solide et puissant, qui, malgré ses défauts, vivra par la grandeur de l’ensemble et la vérité des choses.


LERMINIER.