Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’enchaînement des choses. Voilà les qualités principales du style de notre historien ; en voici les inconvéniens et les défauts. Parfois les développemens de l’Histoire du Consulat et de l’Empire ont plutôt la physionomie d’une improvisation rapide que d’une œuvre mûrement élaborée ; c’est que M. Thiers a immensément médité sur les choses, et très peu sur les mots. Son talent d’écrire, qui est des plus éminens, est plutôt d’instinct que de réflexion. Le spectacle, que sa belle intelligence se donne à elle-même, des choses et des faits le préoccupe uniquement, l’absorbe, l’emporte, et il perd tout souci de l’arrangement des mots et des phrases. De là les incorrections et les négligences qu’on a remarquées, surtout dans les premiers volumes, et que nous sommes loin de considérer comme des minuties indignes d’attention. Heureusement une révision vigilante peut, sans altérer le fond, faire disparaître ces défauts dans la forme. Nous relèverons aussi quelques répétitions et certains résumés, dont le récit historique n’a pas besoin. Ici l’écrivain a gardé quelque chose des habitudes de l’orateur. C’est au milieu de l’histoire comme une trace de la tribune qu’il est aisé d’effacer.

Puisque nous en sommes aux critiques, nous reviendrons sur le fond avant de terminer pour dire un mot de l’Angleterre, ou plutôt de la manière dont en parle l’historien du consulat et de l’empire. Il n’a pas été nécessaire à M. Thiers de se faire violence afin de rester digne et juste en appréciant la nation anglaise et l’ardeur de ses inimitiés contre nous au commencement de ce siècle. Il lui est facile de montrer une équitable estime pour les actes et les hommes qui honorent véritablement la puissance britannique, notamment pour Nelson, dont il loue sans détour l’infatigable audace. Mais il est un autre ennemi de la France non moins illustre, non moins opiniâtre, dont M. Thiers n’a pas accusé assez fortement la physionomie politique ; nous voulons parler de Pitt : c’est un portrait qui lui reste à tracer. Nous espérons aussi trouver plus tard dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire quelques pages où l’Angleterre, l’originalité de son génie, l’étendue de sa puissance, soient profondément caractérisées. Les occasions ne manqueront pas à l’historien, car à la fin du cinquième volume ce duel formidable qui doit durer dix ans entre l’Angleterre et Napoléon n’est qu’à son début, il sera bien plus sérieusement engagé à l’époque du fameux décret de Berlin sur le blocus continental. Au surplus, pour nous contenter, M. Thiers n’a qu’à être fidèle à sa propre méthode, en consacrant à propos à l’Angleterre une excursion historique semblable à celles qu’il a si bien faites sur constitution