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dont la justice vous charment, vit depuis quinze ans au milieu des tempêtes de la vie politique, et il s’y est maintenu calme et sans fiel. Aussi, vous ne trouverez rien dans son livre qui ressemble à l’amertume condensée de Tacite. L’historien du consulat et de l’empire a plus d’admiration pour les grandeurs de la nature humaine que de colère contre ses bassesses. Jusque dans les condamnations les plus formelles qu’il prononce, perce l’indulgence philosophique d’un ministre qui connaît les hommes parce qu’il les a maniés. Il y a des historiens dont l’impartialité est chagrine ; celle de M. Thiers est bienveillante.

Si impartial qu’il soit, l’historien du consulat et de l’empire a cependant une affection qui lui tient fort au cœur : il aime Napoléon. Nous ne pensons pas que la France lui en sache mauvais gré. Se figure-t-on un écrivain abordant le magnifique sujet que traite en ce moment M. Thiers avec une antipathie systématique, avec une haine réfléchie pour l’homme qui, pendant vingt ans, a si vigoureusement tenu en haleine la renommée, la France et le monde ? Comment avec de pareils sentimens s’élever à l’équitable sérénité de l’histoire ? Sans doute, la France peut adresser de graves reproches à Napoléon ; elle peut lui appliquer cette parole de Tacite sur Pompée : Quæ armis tuebatur armis amisit[1] ; ce que par la guerre il avait su élever et défendre, il l’a perdu par la guerre. Toutefois, à la vue de l’indomptable héroïsme du conquérant et du long supplice qui a succédé à tant de triomphes, la France a pardonné, et le pardon s’est élevé jusqu’à l’apothéose. Sans doute, l’histoire doit être autre chose que l’écho de l’enthousiasme populaire, mais elle ne met pas non plus son orgueil à faire divorce avec les sentimens de la nation dont elle déroule les annales. Du fond de ces sentimens et de ces instincts, dégager ce qui est marqué au coin du bon sens ; au lieu de mépriser les opinions d’un peuple, en chercher les raisons, sans oublier d’en signaler les excès et les méprises, telle est la voie qui conduira plus sûrement que toute autre l’historien politique à la vérité.

L’intime sympathie de M. Thiers pour Napoléon ne sera donc pas une cause d’erreurs. On sent, pour ainsi parler, dans l’historien, une nature méridionale qui comprend merveilleusement un génie méridional. La peinture qu’a faite M. Thiers de l’admiration affectueuse qu’inspirèrent à la France les débuts du gouvernement consulaire est vive, elle a frappé tout le monde, on dirait l’impression d’un contemporain

  1. Annalium, lib. III, cap. 28.