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été dit et fait véritablement, dût même l’importance de certaines choses lui paraître médiocre. La tragédie et l’histoire n’ont pas le même but : loin de là, leur visée est entièrement contraire. La tragédie se propose d’exciter l’admiration dans l’esprit des auditeurs, de les émouvoir par les discours les plus persuasifs et les plus touchans l’histoire ne saurait avoir d’autre dessein que d’instruire et de persuader par des discours et des actions véritables. Les tragiques, pour arriver aux effets qu’ils cherchent, se permettent la fiction, et trompent le spectateur : l’historien ne met en œuvre que le vrai, car il veut surtout être utile[1]. » Judicieuses paroles, dont la vérité semble croître encore en face des divagations qui trop souvent aujourd’hui usurpent le titre d’histoire. Nous aussi, nous avons nos Phylarques aux digressions mélancoliques, aux tirades larmoyantes. La critique s’abstient de les troubler ; mais la postérité, s’ils y arrivent, les jugera sévèrement.

L’esprit de parti est pour l’histoire un autre fléau. Distinguons l’esprit de chaque siècle d’avec l’esprit de parti. De siècle en siècle, l’esprit général du monde se modifie, se renouvelle, et l’humanité comprend mieux le passé à mesure qu’elle s’en éloigne ; aussi, ou elle en recommence les récits, ou elle redresse, elle corrige les jugemens qu’elle a portés. Un pareil changement, loin d’altérer la justice du genre humain, l’étend et la confirme, et il n’a rien de commun avec l’inconsistance passionnée de l’esprit de parti. Pour ce dernier, il n’y a point de vérité, il n’y a que des intérêts. L’esprit de parti s’inquiète peu de s’instruire avec exactitude, avec sincérité, aux leçons et aux secrets du passé : il n’a d’autre souci que la domination du présent, et, pour la saisir, il défigurera la vérité, s’il le faut. Hommes et choses, révolutions religieuses et politiques, tout devra prendre une physionomie appropriée aux convenances de tel parti, de telle faction, de telle secte ; on fera mentir le passé, et les instrumens de ce mensonge pourront être de bonne foi. Des esprits plus crédules que réfléchis, plus exaltés que vigoureux, s’imagineront bien mériter de leur pays et le leur époque en faisant de l’histoire un plaidoyer, un acte d’accusation, un libelle. Des démocrates ont, dit-on, découvert que jusqu’à présent l’histoire de la révolution française n’avait été écrite que par des bourgeois au profit de la bourgeoisie ; il s’agirait aujourd’hui de l’écrire au profit du peuple, et au flambeau des opinions qui ont succombé en 1793. dans les rangs opposés, on racontera

  1. Polybii historiar. Lib. II, p. 349, 350, t. I ; édit. Schweighœuser, 1789.