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dans un autres. Nous empruntons nos argumens aux faits qui sont propres à la France. Les emplois y sont, pour ceux qui les occupent, une profession ordinairement achetée par de nombreux travaux et souvent aussi par le coûteux sacrifice de longues études. On n’y parvient pas à la fortune ; à peine le salaire de chaque jour suffit-il à ses nécessités. La médiocrité des patrimoines permet à bien peu de fonctionnaires de se passer de leur emploi. Ne livrons pas à un ministère violent cette proie trop facile. Les fonctionnaires, sous le régime de la centralisation, forment une classe aussi nombreuse qu’importante ; l’estime dont elle jouit importe à l’honneur du gouvernement. Or, quelle place occuperaient-ils dans l’opinion du peuple, frappés d’une sorte d’ilotisme politique, obligés sans cesse de choisir entre leurs convictions et le sort de leur famille, soupçonnés de mentir à leur conscience, pour sauver leur place, quand ils appuieraient le pouvoir, et condamnés, toutes les fois que la politique du gouvernement serait modifiée, à en suivre en esclaves les fréquentes vicissitudes ? Nous invoquons donc pour eux la liberté commune ; cependant nous ne voulons point qu’ils oublient la réserve que leur imposent les liens qui les unissent au pouvoir. S’ils se mettaient à la tête des cabales qui agitent les élections, s’ils se livraient dans les chambres à des violences de langage que se permettent à peine les plus amers opposans, ils manqueraient aux convenances les plus vulgaires, et le ministère qui leur témoignerait son improbation ne pourrait être accusé d’avoir violé un droit.

Les diverses obligations dont nous venons de présenter l’analyse ont pour sanction, dans l’ordre moral, le sentiment du devoir, et, dans l’ordre disciplinaire, les peines administratives.

L’amour du devoir est la première vertu de l’homme public, vertu féconde et qui vivifie la lettre morte des règlemens. Si elle venait à s’éteindre, l’action du pouvoir suprême languirait le plus souvent vaine et impuissante, et le fonctionnaire ne serait plus qu’un vil agent, exécutant servilement une consigne, n’obéissant qu’à l’intérêt ou à la force, et se jouant de toute obligation qu’il pourrait éluder impunément. Le service de l’état commande des sentimens plus nobles. Il faut que le fonctionnaire sache voir dans l’état qui l’emploie, non point un être abstrait dont on peut sans danger méconnaître le vœu, mais le maître le plus digne d’exciter le zèle, et le plus sensible en réalité au dévouement déployé à son service. Ces sentimens animent ceux qui ont obtenu par le travail les fonctions dont ils sont investis. Ils les aiment en proportion des efforts qu’elles leur ont coûtés. Au