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la marche du gouvernement ? Que penserait-il s’il entendait, dans la chambre des députés, le chef du cabinet menacer en certains cas de destitution les députés fonctionnaires ? Les électeurs hésiteraient à confier leur mandat à des hommes qui n’auraient pas la faculté de suivre en toutes circonstances les inspirations de leur patriotisme. Or, s’il ne faut pas que les fonctionnaires soient trop nombreux dans les chambres, il ne serait pas moins fâcheux qu’ils en fussent exclus, et qu’ils cessassent d’y apporter les vues pratiques, l’expérience et l’esprit d’ordre qui les distinguent le plus ordinairement. On prétend que les règles d’un bon gouvernement sont faussées par l’opposition des fonctionnaires. Qu’importe donc qu’un conseiller de cour royale, qu’un ingénieur des ponts-et-chaussées, qu’un officier de l’armée votent avec l’opposition ? S’il en est d’autres qui ne le puissent pas sans inconvénient grave, il faut ou les exclure des chambres en étendant le cercle des incompatibilités, ou leur attribuer le caractère politique, et à ce titre les tenir pour révocables ad nutum. Ils connaîtront les engagemens qu’ils contractent et les chances qu’ils courent en devenant hommes politiques, et les électeurs sauront qui ils prennent pour les représenter. Rien n’est plus périlleux que le vague des théories qu’on hasarde sur ce sujet. Tout ce qui touche à la capacité politique a besoin d’être clair et explicite. Comment admettre, par exemple, les subtiles distinctions imaginées entre le vote silencieux et les opinions exprimées, entre les dissentimens sur le fond de la politique ministérielle et les désaccords secondaires ? Purs jeux d’esprit à peine bons pour échapper à une discussion embarrassante, mais dépourvus de toute solidité. Quoi ! le fonctionnaire pourra voter pour l’opposition, mais il devra rester muet ! Ses paroles sont-elles plus condamnables que ses actes ? et qui vous autorise à le mutiler ainsi ? Qui distinguera d’ailleurs les questions qui touchent au fond de la politique des simples incidens secondaires ? Ce n’est pas, si nous ne nous trompons, par la nature des votes, secrets ou publics, ou par leur objet, que l’on doit se décider, mais par le caractère des fonctions, et la question, ramenée à ces termes, peut être aisément résolue.

A ceux qui veulent défendre les fonctionnaires contre les réactions politiques, on oppose l’exemple de gouvernemens libres où de telles garanties n’existent point ; mais toute comparaison pèche en semblable matière. Des différences essentielles dans la nature des emplois, dans la condition des fonctionnaires, dans leur nombre, dans le système administratif, dans les rapports des assemblées politiques avec le pouvoir exécutif, ne permettent point d’invoquer les usages d’un pays