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attenter à une liberté publique et commettre un excès de pouvoir. Le fonctionnaire ne doit obéissance à ses chefs que dans l’ordre et pour l’accomplissement de ses fonctions : comme électeur, il ne relève que de sa conscience, il use d’un droit, mieux encore, il remplit un devoir. Toutefois, pour empêcher que l’on ne confonde en lui l’électeur et le fonctionnaire, il doit maintenir distincts ces deux titres. Il ne faudrait pas qu’il fit servir l’autorité dont il est investi au triomphe du candidat de son choix, pas plus pour la cause de l’opposition que pour celle du ministère. Ces nuances sont délicates, nous en convenons ; il est quelquefois difficile d’établir une séparation absolue entre les actes du même homme investi d’un double caractère. C’est aux habitudes politiques qu’il appartient de poser les limites qui sont indiquée par les convenances et par l’intérêt public.

Dans les chambres, les devoirs du fonctionnaire dépendent de la nature de l’emploi qu’il occupe. Les fonctions politiques emportent avec elles des obligations particulières. Ceux qui en sont investis ne sont point autorisés à combattre par leurs discours ou par leurs votes le ministère qui les a choisis pour ses auxiliaires ou ses appuis. Nommés en dehors de toutes condition d’aptitude, ils peuvent être frappés en dehors de toutes conditions de stabilité. La politique qui les a élevés peut toujours les renverser. Il est aussi des emplois qui, sans être exclusivement politiques, établissent avec les membres responsables du cabinet une collaboration directe, intime et permanente et leur donnent le droit d’exiger une entière conformité de vues et d’opinion. On ne pourrait condamner un ministre à communiquer ses secrets, ses vues, son plan d’administration à celui qui, fonctionnaire le matin, irait le soir s’asseoir dans les rangs de l’opposition. Peut-être en résulte-t-il que ces fonctionnaires ne doivent point siéger dans le parlement. Par cette exclusion, on éviterait au moins qu’après avoir long-temps toléré des actes d’opposition, un ministre s’en fît tout à coup une arme pour satisfaire ses rancunes ou pour venger une défaite. C’est une question qu’il n’entre pas dans notre plan de traiter ici. Ces catégories exceptées, nous tenons le fonctionnaire dans les chambres pour maître de son vote et de sa parole. En franchissant le seuil de l’enceinte parlementaire, il n’est plus que pair ou député. La doctrine contraire compromettrait la dignité des chambres, car elle ferait douter de l’indépendance d’une partie considérable de leurs membres. Que penserait, par exemple, le public, s’il entendait un ministre de la guerre gourmander un officier-général qui se serait permis, dans la chambre des pairs, de critiquer