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peu compatibles avec leur caractère public, entreprises dans lesquelles on peut penser que leur apport se compose plus de leur importance administrative que de leur aptitude ou de leurs capitaux, et dont le moindre inconvénient est de les détourner de leurs travaux officiels ?

Respecter les lois de la probité est le devoir de tous, obéir est plus spécialement le devoir du fonctionnaire. L’obéissance hiérarchique est une condition essentielle de l’ordre et de la bonne constitution du pouvoir, mais elle se modifie d’après la nature de la fonction et le caractère des ordres. Le magistrat ne relève que de sa conscience ; on peut lui imposer l’exactitude, mais un jugement, jamais. Au militaire est imposé, dans tous les cas, une obéissance absolue et complète. C’est la loi de la discipline ; les baïonnettes ne délibèrent point. Entre le militaire qui exécute et le magistrat qui juge, les autres fonctionnaires sont assujétis à une subordination plus ou moins étroite, selon les circonstances. Dans tous les cas, le droit de représentation où de remontrance leur est accordé : exercé avec convenance et respect, il éclaire l’administration sans l’entraver ; mais l’exécution provisoire, s’il y a lieu, est le devoir de l’agent, et la décision souveraine, le droit du pouvoir qui a donné l’ordre. Ainsi se concilient les scrupules du fonctionnaire, qui n’est pas une machine aveugle et sans discernement, avec les prérogatives du pouvoir responsable, dont les résolutions doivent prévaloir partout et toujours. Nous voudrions pouvoir rendre hommage à l’esprit de subordination des fonctionnaires ; mais la forme de nos institutions, qui provoquent la critique et organisent le contrôle à côté de tous les pouvoirs, les influences personnelles qu’elles multiplient et qui ne s’exercent pas toujours au profit de l’intérêt général, l’instabilité des hommes, la faiblesse des caractères enfin, sont autant d’obstacles qui troublent la marche de l’autorité publique, et l’exposent à toute sorte de difficultés intérieures sur lesquelles il lui faut trop souvent fermer les yeux.

Nous vivons sous un régime de publicité, et cependant la discrétion est une des qualités les plus essentielles du fonctionnaire public. Le magistrat ne peut révéler les opinions qui se sont produites dans les délibérations : les infractions à cette règle étaient autrefois punies de destitution et d’amendes considérables. Le diplomate possède des secrets qui renferment parfois la paix ou la guerre. Le militaire reçoit des ordres dont la divulgation compromettrait le salut de l’armée. Sans même recourir à ces exemples extraordinaires, il n’est pas une branche du service public dont les agens ne soient tenus à la discrétion.