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de le deviner en remontant ainsi de l’effet à la cause. Ce qui surgit en vous à la vue du Bosphore, ce n’est pas ce sentiment de respect et presque d’effroi qui pèse sur le cœur quand on contemple l’Océan ou le chaos des Alpes, ou l’horizon sévère des déserts asiatiques ; c’est bien plutôt ce ravissement dont on est comme inondé, lorsque, par une fraîche matinée de printemps, le regard erre sur une vallée en fleurs, humide de rosée, pleine de parfums et de bruits d’amour. Sur les rives du Bosphore, la nature n’est pas imposante, elle sourit et charme. On est au milieu d’un éden enchanté, dont elle a disposé tous les plans avec amour, et dans lequel elle a versé, en un jour de prodigalité, tous les trésors de son écrin.

Les coteaux montagneux, agrestes, accidentés, étincelans de verdure, qui s’élèvent en amphithéâtre sur les deux rives et se reflètent dans le miroir immobile de ce beau lac bleu qu’on nomme le Bosphore, ont un peu le caractère de certaines collines suisses, s’il est permis, pour mieux se faire comprendre, de chercher ici un point de comparaison. Sur les bords, à droite et à gauche, s’étend à perte de vue une ligne de maisons roses, pareilles à des pagodes, à demi cachées sous les buissons de rosiers et de jasmins qui en tapissent les murs, et de palais d’une architecture légère, d’une éclatante blancheur, sur le toit desquels pendent en grappes les branches des vieux sycomores. Plus haut s’étagent des bouquets d’arbustes, au feuillage vernissé, au milieu desquels des kiosques charmans se détachent çà et là, comme des rubis enchâssés dans l’émail. Au-dessus de ces parterres fleuris, et comme pour leur donner du relief, apparaissent à demi perdues dans les lianes de belles roches aux teintes grises. Des massifs de cyprès, dont les cimes découpées en festons semblent incrustées dans le ciel, courent sur les crêtes et entourent d’une bordure sévère ce riant paysage. Des ruisseaux serpentent comme des rubans argentés sous leurs sombres ombrages, ou se précipitent en cascades bondissantes sur lesquelles se brisent en prisme les rayons du soleil. Les flancs des coteaux semblent avoir été ciselés « pour le plaisir des yeux. » Ici s’élève une colline abrupte, presque sauvage, et là, se creuse une vallée verdoyante et paisible, où une jolie fontaine murmure à l’ombre d’un gigantesque platane.

A mesure que l’on avance, ces tableaux charmans s’effacent tour à tour et sont remplacés par d’autres points de vue plus ravissans encore. A chaque coup de rame, le regard découvre un nouvel oasis qu’avait jusqu’alors caché un pli du terrain ; on va d’enchantemens en enchantemens, et ainsi toujours pendant cinq ou six lieues. Autour de vous,