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femme infidèle, elle disparut, et j’ai toujours pensé que le sac de cuir que nous avions vu flotter sur la mer de Marmara, peu de jours après cette aventure, en était le triste dénouement. On peut donc dire que les femmes turques sont inabordables, et les anecdotes que l’on raconte tout bas confirment cette assertion au lieu de l’affaiblir. Les Grecques de Constantinople vivent retirées comme celles de Smyrne, et il est aussi difficile de se glisser dans l’intimité des belles Fanariotes que de conquérir les bonnes graces des jolies habitantes de la rue des Roses. De tout cela, il faut conclure que les bonnes fortunes orientales n’existent que dans les romans, et qu’en Turquie les plus simples aventures galantes sont d’une rareté phénoménale.

A l’exception de quelques Circassiennes d’un grand prix, qui se vendent de gré à gré entre particuliers, les esclaves proviennent en général du bazar, où se fait tous les jours encore ce déplorable trafic. Dans mes excursions, je n’eus garde d’oublier le marché aux esclaves de Constantinople, qui est bien autrement considérable que celui de Srmyrne. Ce marché, dont l’entrée est depuis quelques années seulement permise aux Européens, fait suite aux autres bazars de Stamboul. C’est une cour carrée, spacieuse, plantée de quelques arbustes et entourée d’une galerie de bois, où l’on circule à l’ombre devant une rangée de cases fermées par un treillage du côté du spectateur. De grandes pièces de toile tendues çà et là d’un arbre à l’autre projettent des carrés d’ombre dans cette cour brûlante. Sous ces sortes de tentes sont accroupies par groupes sur des nattes une quantité de négresses. Ces jeunes filles de dix à douze ans ont les jambes et les épaules nues ; elles portent pour tout costume un pagne bleu serré autour des reins, et une chemise de toile grossière ouverte sur la poitrine. Leur visage est généralement fort laid, et leur buste admirable. De graves Turcs et des femmes voilées, circulent autour d’elles, les examinant tour à tour, et parfois leur distribuent, à leur grande joie, des bonbons achetés à la boutique voisine. D’autres curieux sont assis sur des estrades où fument paisiblement dans un grand kiosque converti en café. Les marchés se font très rapidement. Lorsque la figure d’une esclave et son prix, demandé tout bas au marchand, conviennent à un acheteur, la petite négresse se lève sur un signe de son maître ; le chaland s’approche d’elle lui parle avec la plus grande douceur, s’assure, en admirant ses gencives, qu’elle n’est pas atteinte du scorbut, puis il passe la main sur sa poitrine pour juger de sa consistance. La petite fille ne paraît en aucune façon alarmée de cet examen, qui s’accomplit avec la plus grande décence. Selon le résultat de la négo-