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décupler ; il avait à la fois quarante favorites, et il eut plus de trois cents enfans. Les kadines sont les femmes du grand-seigneur, les odalisques ou kedeklis sont ses maîtresses. Choisies parmi les plus belles filles de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe orientale, les odalisques composent pour sa hautesse un charmant bataillon de pages. Douze des plus parfaites sont affectées au service du bain ; c’est parmi elles que le sultan recrute de nouvelles kadines, lorsqu’il lui plaît de réformer les anciennes et de les reléguer au vieux sérail. Si elles donnent le jour à un garçon, elles passent au rang d’hasseki. Leur position change alors complètement ; d’esclaves elles deviennent sultanes, et leur influence est quelquefois très grande. Outre les odalisques, un grand nombre de jeunes filles entrées à l’âge de dix ans au harem, et portant le nom de shagirdennes, sont élevées dans les murs du sérail ; elles grandissent pour l’avenir, et prennent rang plus tard, suivant leur beauté, parmi les kedeklis ou les djargé, qui sont de simples femmes de chambre. Il va sans dire que les fantaisies du padicha accroissent chaque jour le nombre des belles captives du harem, et de plus, chaque année, le dernier jour du ramazan, la nation offre en cadeau à sa hautesse la plus belle esclave qui se puisse trouver en Géorgie. Celle qui fut donnée il y a deux ans à Abdul-Medjid n’avait pas coûté moins d’un million deux cent mille piastres. Toutes les femmes du harem obéissent à une odalisque hors d’âge qui porte le titre de kehaga-kadine, et dont les fonctions sont de faire connaître aux esclaves le bon plaisir du grand-seigneur. Nées sous un ciel brillant, ayant pour toute religion l’amour, et l’amour pour unique pensée, ces belles jeunes femmes oisives passent ensemble toute leur vie. Beaucoup d’entre elles sont à peine connues du sultan ; elles ne voient que leurs gardiens hideux, et l’on comprend que de cette réclusion barbare résulte une effrayante démoralisation.

Il est difficile de croire qu’un homme, au risque d’une mort affreuse, et avec bien peu de chances de réussite, ait osé franchir le seuil impénétrable de ce mystérieux palais. On raconte pourtant qu’un jeune diplomate russe, ayant séduit à prix d’or une Juive qui vendait des parfums aux captives du harem, parvint, il y a quelques années, à s’introduire avec elle sous des habits de femme dans le quartier habité par les odalisques. Il y régna en sultan, dit-on, pendant deux jours entiers. Au bout de ce temps, découvert par un eunuque et ne voyant aucune autre voie de salut, il brisa, dans un effort désespéré, le treillis d’une croisée, et se jeta à corps perdu dans le Bosphore. Le soir même il s’embarqua, et partit pour Odessa. Que faut-il penser