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une quantité de marsouins s’ébattaient dans les flots, ou, pareils à des bouées, flottaient immobiles à leur surface. Le plus profond silence régnait sur le pont humide du steamer, les matelots de quart, sommeillant à demi, étaient assis en cercle autour de la cheminée. A l’avant, les Turcs, roulés dans leurs couvertures jaunes à raies rouges, dormaient sous le bastingage. Le timonier veillait seul, debout derrière la roue ; observant son compas et sonnant les quarts d’heure. Le son clair de la cloche était, avec le roulement monotone des roues, le seul bruit qui se fît entendre, et, poussé par une force invisible, ce navire qui renfermait tant d’êtres vivans semblait avancer de lui-même pendant leur sommeil, comme un vaisseau fantastique. — Bientôt je vis poindre vers le levant une lueur verdâtre qui s’éleva dans le ciel en jaunissant ; la terre basse et plate se dessina comme une ligne noire sur ce fond lumineux, et la mer reprit son azur de tous les jours. Une heure plus tard, nous étions arrivés à une portée de canon du sérail ; mais, hélas ! un épais brouillard couvrait la ville, nous naviguions dans un nuage, Constantinople était invisible, et je me désolais de ce contre-temps, qui me faisait perdre le plus beau moment d’un long voyage. Tout à coup le soleil sortit resplendissant des flots, et le brouillard acquit, comme par enchantement, une merveilleuse transparence. Le rideau se déchira, et, de tous les côtés à la fois, apparurent à mes yeux. éblouis des forêts de minarets à pointes dorées, des milliers de coupoles enflammées par la lumière, des collines couvertes de maisons rouges entremêlées de verdure, une suite immense de palais bizarrement éclairés, de mosquées aux toits bleus, des bois de cyprès et de sycomores, des jardins en fleurs, un port sans fin rempli à perte de vue de navires, de mâts et de pavillons ; en un mot, toute cette ville enchantée que chacun croit connaître, et qui ressemble moins à une grande capitale qu’à une suite infinie de kiosques charmans, élevés dans un parc sans bornes, qui a pour bassins des lacs, pour accidens de terrain des montagnes, pour massifs des forêts, pour ruisseaux des bras de mer, et pour batelets des escadres ; parc incomparable, à la fois si grandiose et si élégant, qu’il semble avoir été dessiné par des fées et exécuté par des géans. En devenant plus ardens, les rayons du soleil convertissaient en une sorte de poussière d’or les vapeurs matinales ; Constantinople semblait en feu, et ce panorama sans pareil flamboyait dans une atmosphère éblouissante ; nous poussâmes tous ensemble un cri d’admiration, et sur l’ordre du commandant le Rhamsès s’arrêta.

Quelques écrivains ont comparé la vue de Constantinople à celle