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du jeu d’une machine, de la singularité d’une décoration, de la forme d’un vêtement, et frappe les sens au lieu de parler à l’esprit et au cœur ?

Dès-lors la cause de la révolution littéraire était victorieuse en Italie. Ce qui est à regretter, c’est que ce mouvement dont Manzoni fut un des chefs reconnus n’ait pas eu des résultats plus certains et plus grands ; c’est que des œuvres nées de la même inspiration, répondant à ce premier et glorieux appel, n’aient pas continué cette tradition rajeunie ; c’est qu’il n’y ait pas eu dans les esprits cette union, cet accord et en même temps cette persistance qui assurent la victoire et la rendent féconde. Oui, cela est à regretter : la réponse qui nous serait faite, il est vrai, nous la connaissons, la cause du mal est trop plausible La poésie, de notre temps, vit de pensées sérieuses et s’habitue à remuer les grands problèmes ; elle interroge les destinées humaines et cherche parfois à corriger la réalité par les rêves de perfection ; si elle choisit quelque action héroïque de l’histoire d’un pays, à l’aspect de ce passé, elle se plaît, elle aussi, à faire ses souhaits pour l’avenir. Or, pour s’élever à cette hauteur, il ne faudrait pas qu’elle fût à chaque instant retenue et menacée ; pour exprimer son enthousiasme ou sa plainte, il lui faudrait un peu de cet air libre qu’elle n’a pas, et qu’on lui accorderait volontiers si elle voulait revêtir la livrée ou se borner, à quelque chanson d’amour, c’est-à-dire si elle voulait mourir. Quelles que soient cependant les difficultés d’une situation précaire et fausse, cruelle, pleine d’angoisses, il y a encore quelques dignes exemples dans ce noble pays ; l’Italie moderne n’est pas déshéritée de gloires littéraires ; il y a de persévérantes fidélités à la poésie, et aux noms de Manzoni, de Pellico, devenus européens, on pourrait en ajouter d’autres à qui il n’a manqué que les circonstances pour les faire briller du même lustre. La jeunesse aussi veille et attend l’aurore : c’est à elle surtout, qui n’a aucun lien avec le passé, qu’il faudrait conseiller le travail et cette haute dignité qui sied à l’intelligence ; mais ce n’est pas sans une étude attentive et réfléchie que les jeunes poètes pourront réussir dans leurs tentatives littéraires. Ils doivent, il nous semble, se rendre compte avec soin de ce qui a été fait jusqu’ici pour y ajouter, et pour ne pas tomber dans cette erreur de se croire encore aux premiers jours d’une lutte dont l’issue n’est plus incertaine.

C’était là notre pensée en parcourant les Essais Dramatiques de M. Revere ; ces tentatives, qui ne sont pas sans mérite, auraient sans aucun doute suscité de vives discussions, il y a vingt ans, au moment où Manzoni écrivait sa lettre à M. Chauvet, où paraissaient les dialogues de Visconti sur les unités ; ils eussent pu être un argument, et auraient, à ce titre, soulevé ces sympathies et ces répulsions qui font le succès. M. Revere pouvait voir se poser à son sujet toutes les questions alors flagrantes ; il les provoque par la nature même de ses ouvrages, puisqu’à cette lutte de belles passions qui caractérise l’ancienne tragédie, il a substitué le tableau complet d’une des plus singulières époques de l’histoire de Florence, et qu’il a introduit dans son drame ce personnage éternellement mobile, passionné, tour à tour enthousiaste ou haineux, — le peuple ; puisqu’il a fait de la place publique le lieu