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donne un singulier rôle au Cantique des Cantiques, quand il le fait chanter par Ronge et sa fiancée d’une façon bien irrévérencieuse. « Ce mariage, dit M. Goerres en terminant, est le symbole du prochain mariage de l’église catholique allemande avec l’église évangélique vivent le pape germanique et la papesse Jeanne ! » Tel est ce livre qu’il faut se hâter de fermer. L’écrivain a raillé MM. Ronge et Czerski le moins mal qu’il a pu : c’était son droit, et ce n’est pas moi qui défendrai les deux réformateurs. Ce qui nous afflige, ce qui est un triste spectacle, c’est de voir chez un vieillard si vénérable encore une haine si inintelligente de la société moderne, chez un écrivain jadis si original tant de lieux communs dérobés aux plus mauvaises gazettes de France et d’Allemagne. L’homme qui a écrit ce fâcheux pamphlet a eu la plus loyale et la plus vaillante jeunesse ; c’était l’élève du centaure ; il meurt aujourd’hui dans les rangs ennemis, lançant d’une main tremblante, comme le vieux Priam, un fer énervé qui ne frappe pas, telum imbelle sine ictu.

Les défenseurs de M. Ronge ne seront guère moins ridicules que ses adversaires ; les dithyrambes des uns vaudront bien les malédictions des autres. Il semble même que les fantaisies du vieux Goerres aient donné le ton à la polémique. Je ne parle pas seulement des écrits de M. Ronge lui-même, de ses proclamations à mes coreligionnaires, à mes concitoyens, aux prêtres catholiques, au bas clergé, discours vulgaires, où le vide des idées se dissimule mal sous l’emphase du langage : « Frères et amis, la lumière nouvelle est descendue sur vous… etc. ». De part et d’autre, on a recours à la déclamation, et ce qui prouve bien que ce débat est beaucoup plus politique que religieux, c’est la pauvreté de tous ces manifestes théologiques, c’est l’absence de doctrines qui y est trop visible. Parmi ces niaiseries, il y en a de plaisantes ; je signalerai un de ces écrits, le plus bizarre de tous assurément, et qui nous épargnera la peine de citer les autres. Voici le titre : L’Union des catholiques et des protestans, écrit biblique, destiné à toute la chrétienté, et dédié à Jean Ronge. L’auteur tient toutes ses promesses c’est un écrit biblique, si l’on peut appeler biblique une parodie de l’Ancien Testament, un pastiche ridicule des formes naïves et solennelles du grand livre hébreu. Il suffit d’en citer quelques passages ; on aura le ton de ces apologies vraiment singulières.


I.

1. Or, il arriva de nos jours que l’évêque de Trèves exposa une tunique et annonça au monde que cette tunique était précisément celle qu’avait portée Christ, notre sauveur.