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immédiatement le système contenu dans les onze articles, avaient demandé à l’assemblée l’excommunication des amis des lumières, qui venaient de se constituer en Saxe et de se répandre par toute la Prusse ; ils revenaient ainsi, par une voie détournée, à la discussion qui avait été interdite dès le commencement des débats. Le bon sens de l’assemblée ne s’y trompa pas, et un membre rédigea une déclaration qui fut tout aussitôt votée : il y était dit que cette secte des amis des lumières ne devait sa naissance et son développement qu’aux fautes mêmes de l’église, et que l’église, en se surveillant, était assez forte pour vaincre ses ennemis sans recourir aux moyens extrêmes. Les piétistes étaient donc battus sur tous les points, et les rationalistes modérés avaient tous les honneurs de cette brillante campagne.

Arrêtés dans leurs ambitieux projets par la ferme opposition du synode général, les piétistes avaient aussi à lutter sans cesse contre l’église romaine. Depuis quelque temps, les retours au catholicisme devenaient très fréquens ; à Berlin, où les catholiques forment à peine le sixième de la population, on comptait environ cent cinquante conversions chaque année. Il paraît bien que les piétistes étaient les auteurs du mal ; les protestans abandonnaient leur église pour échapper à cette odieuse et mesquine tyrannie ; s’il fallait reprendre le joug, s’il fallait se courber de nouveau devant l’autorité, on préférait l’autorité catholique, plus indulgente, plus facile, et entourée d’ailleurs de ces merveilleuses séductions qui manquent trop aux églises réformées. Les piétistes causaient donc le plus grand dommage au protestantisme et on n’oubliait pas de publier très haut ces reproches accablans. Battus partout, au dedans et au dehors, battus par les protestans et par les catholiques, qu’allaient-ils devenir ? C’est alors qu’ils mirent si bien à profit la révolte de Laurahütte et de Schneidemühl ; ces étranges sectaires, qui prêchaient des doctrines si différentes des leurs, ils commencèrent à les prôner avec enthousiasme, et l’on vit pendant quelque temps les plus rigides théologiens de la terre prendre sous leur protection deux hommes dont les paroles, prononcées dans un synode, les eussent fait reculer d’horreur ! Le dépit, l’orgueil des dévots, est tout autrement fort que le fanatisme ; il sait s’en rendre maître, et arracher aux plus intolérans des concessions extraordinaires.

Puisque les piétistes avaient appuyé les novateurs, le gouvernement prussien, si dévoué aux piétistes, devait se montrer bienveillant pour leur tentative. C’est ce qui arriva en effet ; pendant deux ou trois mois, la politique prussienne fut très favorable à Ronge et à Czerski. On ne pouvait sans doute les protéger directement, les opposer au