Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les plus scrupuleuses de la critique ? De telles contestations, en vérité, semblent faites pour réveiller Voltaire et le provoquer ; chez nous, certainement, elles le pousseraient hors du tombeau. En Allemagne, c’est bien mieux, — ou bien pis, comme on voudra ; — on n’a pas besoin de recourir au Dictionnaire philosophique ; il y a des hommes vénérés, des théologiens en cheveux blancs, qui sourient de pitié aux étourderies timides de Voltaire ; ils ont atteint, souvent avec une piété fervente, toujours avec une incroyable tranquillité, les dernières limites de l’audace. En présence d’une telle assemblée, dans un pays où l’on ne sait plus très précisément ce qui reste de la partie historique du christianisme, dans un pays où l’exégèse, depuis cinquante ans, a accompli au sein de la théologie des bouleversemens extraordinaires, comment venait-on proposer à l’adoration du monde chrétien je ne sais quelle relique suspecte ? N’était-ce pas porter un défi à l’esprit de l’Allemagne, et fournir aux partis inquiets une occasion impatiemment attendue ?

La tunique de Trèves avait déjà été offerte plus d’une fois à l’adoration des croyans. Perdue après les invasions des barbares, on crut la retrouver en 1196, et elle fut exposée cette année même. Elle le fut au temps de Luther ; cinq années seulement avant la réforme, sur la demande de Maximilien Ier, et trois ou quatre fois encore pendant le XVIe siècle. A l’époque de la révolution française, il fallut la soustraire aux armées victorieuses de la république ; on la transporta dans l’intérieur de l’Allemagne, et elle ne fut rendue à Trèves qu’en 1810. C’est aussi en 1810, et à l’occasion de ce retour, qu’elle fut exposée pour la dernière fois. L’évêque de Trêves, M. Arnoldi, avait depuis long-temps le projet de donner ce spectacle à son église. Une relique, un clou de la vraie croix, qui avait jadis appartenu à la cathédrale de Trêves, avait passé (il serait trop long de dire comment) dans les mains du prince de Metternich. Le prince avait promis de restituer le précieux objet à l’église de Trèves, et M. Arnoldi avait le dessein d’exposer à cette occasion, et en même temps, les deux reliques. Cependant M. de Metternich tardait bien à tenir sa promesse ; on était las d’attendre : il fut décidé que l’exposition de la tunique commencerait le 18 août, jour de la fête de sainte Hélène, et qu’elle aurait lieu. Six semaines durant. Le 28-juin, les préparatifs commencèrent ; détails sans nombre, formalités solennelles, garde d’honneur pour veiller nuit et jour auprès de la sainte tunique, rien ne manquait à l’éclat de ces apprêts fastueux. M. Marx, professeur au séminaire de Trêves, racontait tout cela avec une béate emphase dans une série de livres