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était plaisant et original : le poète ; donnant à toutes choses des proportions humaines, réduisait le conseil céleste à une simple parodie de quelque séance du sénat. Donc, les conseillers de l’Olympe délibèrent sur les graves intérêts de l’humanité,

Concilium summis hominum de rebus habebant ;

il s’agit surtout de fixer le châtiment que méritent les impiétés d’un certain Lupus. Jupiter pérore le premier, et se plaint de n’avoir pas assisté à une précédente séance tenue à ce sujet. Ici Dacier remarque très bien[1] que c’était déjà une chose assez plaisante de faire dire par le souverain maître qu’il voudrait de tout cœur avoir fait une chose qu’il n’avait pas faite ; mais la suite est plus bouffonne encore. Jupiter se plaint que les hommes donnent indistinctement le nom de père à chacun des dieux, sans pour cela croire à un seul : « De façon, dit-il, qu’il n’est pas un de nous qui ne soit et père et le meilleur des dieux : père Neptune, père Bacchus ; Saturne, Mars, Janus, Quirinus, autant de pères ; jusqu’au dernier d’entre nous, c’est le nom qu’on nous donne. » Puis, après cette sortie gravement éloquente, Jupiter se tait, dedit pausam ore loquendi. Alors c’est le tour de Neptune ; le pauvre orateur se trouble et s’embrouille si bien dans la métaphysique de se phrases, que, pour s’excuser, il est contraint d’avouer que Carnéade en personne (ce subtil et célèbre raisonneur venait récemment de mourir) ne pourrait pas s’en tirer, quand même Pluton le renverrait tout exprès des enfers : — Voilà malheureusement tout ce qu’il est possible de saisir de cette composition piquante, où s’annonçait déjà la libre manière de Lucien. En somme, il est permis de soupçonner que le poète croyait peu à l’intervention de la Providence dans la conduite des évènemens humains. Écoutez plutôt ce fragment de dialogue entre un dévot libertin et un philosophe :


« Que nos prières montent vers les dieux avec notre encens ! Confions-leur nos projets, et qu’ils les approuvent. — Alors, sûr de l’impunité, tu fais la débauche. »


Ce trait contre les prières hypocrites des vicieux qui croient trafiquer avec le ciel semble avoir inspiré à Perse la satire de la Religion, à Juvénal celle des Vœux ; le génie perdu de Lucile survit dans quelques imitations de ses admirateurs.

  1. Dans son Discours sur la satire (Mémoires de l’Acad. Des Inscriptions l II, p. 212.