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des forces même de la nation. Les Mexicains ne se font pas illusion sur leur caractère ni sur leur corruption. Ils se connaissent trop bien pour espérer en eux-mêmes ; ils savent qu’une main puissante est nécessaire pour combattre leurs mauvaises habitudes et leur irrésistible penchant au mal. Ils le disent à qui veut l’entendre : « Ne cherchez parmi nous ni patriotisme, ni bonne foi ; nous n’obéissons qu’à la rigueur et aux mauvais traitemens. » Or, comme le meilleur système de gouvernement prospère ou dépérit après tout selon les instrumens qui l’appliquent, il n’y aura jamais au Mexique ni gouvernement, ni unité, ni constitution, tant que la race mexicaine sera abandonnée à elle-même. Les principes fédéralistes même qui, en théorie, paraissent devoir sauver le pays, ne produiraient que de mauvais résultats, si les tendances du caractère national n’étaient pas contenues par une force supérieure.

La France ne pourrait-elle pas être cette force ? Ne pourrait-elle, si l’opinion fédéraliste arrivait au pouvoir portée par notre influence, s’appliquer à diriger cette opinion, à la modérer, à la défendre contre les factions d’abord, contre ses propres excès ensuite ? On nous objectera, je le sais, les difficultés d’une semblable tâche, augmentées encore pour nous par la haine que nous ont vouée les Mexicains. Ne nous y trompons pas, ces obstacles sont plus apparens que réels. Si la haine des Mexicains pour les étrangers était l’expression d’un ardent patriotisme, il faudrait renoncer peut-être à en avoir raison ; mais cette haine vient surtout d’un excessif amour-propre exaspéré par la conviction de l’impuissance. Ce qu’ils haïssent dans les Européens, c’est la supériorité de la civilisation, c’est l’ordre, c’est la prospérité, c’est l’opulence ; ce qui les irrite, c’est le parallèle qu’on ne cesse d’établir entre l’Amérique et l’Europe, entre la faiblesse et la force. Le patriotisme n’a rien à démêler avec ce ridicule orgueil. Il ne peut y avoir de patriotisme là où il n’y a ni ordre, ni moralité, ni gouvernement, ni famille, rien en un mot de ce qui constitue la patrie. Il n’y a pas de patriotisme chez un peuple qui rêve sans cesse le morcellement de son pays, qui appelle à grands cris le joug de l’étranger, comme le font chaque jour les provinces septentrionales du Mexique et le Yucatan. Une nation qui voudrait exercer sur cette république une influence morale n’aurait point à redouter un tel obstacle. D’ailleurs, les partis veulent tous arriver au pouvoir, et, du moment qu’une puissance étrangère promettrait le gouvernement aux fédéralistes, les fédéralistes lui tendraient les bras.

Un autre sentiment militerait en faveur de la puissance qui arriverait au Mexique avec l’intention de tirer parti des élémens qu’il renferme, de le ressusciter en un mot par lui et pour lui : ce sentiment, c’est l’amour-propre de race. Si les Mexicains songent à se jeter dans les bras de l’Union, c’est qu’ils ne voient pas d’autre ressource ouverte contre les calamités qui les assiégent. Ils n’aiment pas plus les citoyens américains qu’ils n’aiment les Anglais, qu’ils ne nous aiment nous-mêmes. Ce qu’ils cherchent, c’est la prospérité résultant d’un ordre qu’ils sont incapables d’établir. Mais qu’on mette