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d’un président, d’un préfet ou d’un alcade peut la rendre tout à coup exécutoire.

Dans le courant de 1843, Santa-Anna avait rendu un autre décret qui condamnait à mort tout étranger trouvé les armes à la main sur le territoire de la république ; ce décret avait pour but de frapper les Texiens de terreur : de malheureux Français devaient en être les premières victimes. Un général mexicain, commandant la province de Tabasco, avait été chassé du pays sous prétexte de conspiration contre le centralisme ; il s’était réfugié à la Nouvelle-Orléans ; là il recrutait des colons et des ouvriers, à l’effet, disait-il, de les transporter sur les terres qu’il prétendait posséder dans la province de Tabasco. Le fait est qu’il espérait provoquer une révolution dans le sud au moyen des nombreuses intelligences qu’il s’y était ménagées. Une cinquantaine d’individus, parmi lesquels trente Français, se laissèrent séduire par les belles promesses du général, et passèrent des engagemens avec lui. La plupart ignorèrent jusqu’au dernier moment leur véritable destination. Quant au petit nombre de ceux qui eurent connaissance des desseins de Sentmanat, on n’a pu le constater avec précision, puisque les uns et les autres sont morts sans jugement.

Les partisans du général exilé lui assuraient que, s’il se montrait seulement sur les côtes du golfe avec quelques forces, le département de Tabasco tout entier se soulèverait en sa faveur. De son côté, le ministère, tenu au courant de toutes les démarches de Sentmanat par ses espions et son consul de la Nouvelle-Orléans, avait pris à l’avance des mesures pour s’opposer à l’insurrection. Toute la marine de la république croisait sur les côtes de Tabasco, et des forces considérables de terre étaient échelonnées tout le long du littoral, bien avant que Sentmanat eût pris la mer. Santa-Anna, en envoyant le général Ampudia dans le département menacé, lui avait prescrit de s’opposer à l’invasion par tous les moyens qu’il jugerait convenables ; ce général montrait partout l’ordre, signé du président, de mettre à mort Sentmanat et ses compagnons. Le conspirateur parut enfin dans les eaux de Tabasco ; mais il avait été signalé par un brick mexicain, et, au moment où il se disposait à jeter l’ancre à l’embouchure de la rivière de Saint-Jean-Baptiste, il reçut une bordée du navire du gouvernement. En ce moment, Sentmanat monte sur le pont revêtu de son uniforme de général ; il dévoile ses plans à ceux de ses compagnons qui ne les connaissaient pas, leur déclare qu’il est trop tard pour reculer, que de toute manière il y va de leur vie, et qu’il vaut mieux la perdre en tâchant de vaincre qu’en se laissant égorger sans vengeance. Il leur parle des forces qui l’attendent à terre, des espérances que lui donnent ses partisans. Ceux qui résistent à ce discours, il les menace de les faire massacrer par ses fidèles ; il prodigue les éloges et les promesses à ceux que ses paroles ont décidés. Cependant la position n’était plus tenable ; le brick du gouvernement ne cessait de couvrir de ses feux le navire marchand sur lequel Sentmanat et ses compagnons étaient venus ; il fallut songer à gagner la terre.