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puissance, en leur montrant souvent le pavillon de ses escadres. D’ailleurs, la forme républicaine adoptée par les états libres de l’Amérique leur avait acquis la faveur de notre opposition libérale, la presse retentissait tous les jours des éloges de ces jeunes républiques si pleines d’avenir, et notre gouvernement eût été mal venu à prendre quelques précautions contre elles, à gêner leur développement, ou à diriger des vues d’agrandissement de leur côté.

Le Mexique resta donc dans une liberté complète à l’égard de la France ; il eut avec elle ses coudées franches, et il en usa. Les Français y furent d’abord assez bien reçus ; mais peu à peu la haine des étrangers, naturelle à ces peuples si long-temps séparés du reste du monde, s’exhala d’autant plus contre nous, qu’elle était comprimée par la crainte du côté des Anglais. Les Mexicains témoignèrent aux Français toute la colère qu’ils ressentaient de voir les sujets de la Grande-Bretagne maîtres chez eux, et l’influence de l’Angleterre devint une cause indirecte de défaveur pour nos concitoyens. Le peuple comprit parfaitement qu’il y aurait danger à s’attaquer aux sujets d’une puissance à laquelle le Mexique devait pour ainsi dire son existence politique, qui pouvait le ruiner d’un mot, et dont tout le monde appréciait d’autant plus la force, que ses flottes croisaient chaque jour sur les côtes des deux mers. La France joua donc, qu’on nous permette cette expression, le rôle du bouc émissaire.

Les citoyens anglais n’échappaient pas seulement, par leur position, aux tracasseries des autorités subalternes du pays, qui sont les plus dangereuses pour les étrangers ; ils tenaient aussi le peuple en respect par leurs richesses. C’étaient pour la plupart des agens des principales maisons de commerce de la Cité de Londres, ou des membres des diverses compagnies de mines, qui avaient à leur disposition des capitaux considérables, et qu’on ne pouvait impunément persécuter. La position des sujets français était bien différente presque tous pacotilleurs, usant de leurs propres ressources ou d’un crédit fort limité, ils n’avaient ni le même rang dans le monde, ni la même influence que les négocians ou les propriétaires de mines venus d’Angleterre. La nature de leur commerce les exposait aussi davantage. Tandis que les Anglais résidaient dans les ports, où ils recevaient de riches cargaisons qu’ils distribuaient en gros aux maisons de l’intérieur, les marchands français étaient obligés de courir eux-mêmes les villes et les campagnes pour débiter leurs marchandises en détail. Or, les populations du centre sont loin d’être aussi éclairées que celles des côtes ; les préjugés, la superstition, le fanatisme, sont chez elles plus invétérés, partant la haine des étrangers plus profonde et plus implacable. Nos compatriotes, privés, du prestige que donnent les capitaux, déshérités de la protection de la France, qui ne se montrait forte nulle part, se trouvèrent réduits à leurs droits en face de ces passions dangereuses, et c’est une triste défense au Mexique que le simple droit.

Tant qu’il y eut quelque prospérité dans le pays, on se contenta de ne