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de se remettre à la tête des affaires du Mexique. On prétend que, dès 1840, des ouvertures lui furent faites par les agens de l’Angleterre au sujet de la Californie, et qu’il promit tout ce qu’on voulut, pourvu qu’on l’aidât à remonter au fauteuil de la présidence. Ce que l’on peut affirmer, c’est que les négocians anglais prirent une part active à la révolution de 1841, qui renversa Bustamante, et à tous les mouvemens qui eurent lieu depuis M. Murphy, Espagnol de naissance, mais Anglais d’origine et de cœur, fut la cheville ouvrière de cette révolution. C’est lui qui courut alternativement de Mexico à Manga-de-Clavo et de Manga-de-Clavo à Guadalajara, stimulant Santa-Anna, excitant Paredes, rédigeant ou corrigeant tous les plans d’insurrection.

Une fois dictateur, Santa-Anna n’hésita point à se faire ostensiblement le défenseur des intérêts de l’Angleterre ; ses relations avec le ministre de la Grande-Bretagne furent marquées d’un caractère tout particulier de bienveillance et d’intimité. Sous son gouvernement, les sujets anglais obtinrent de nouvelles concessions et de nouvelles faveurs. On put croire que la Californie allait enfin leur être livrée. Les missionnaires de Saint-François, dont cette province reconnaissait la direction exclusive, ne vivaient que des revenus de grandes propriétés qui leur avaient été léguées par des ames pieuses. Porter la main sur ces fonds, c’était avouer l’intention ou de sacrifier les missions de Californie ou de céder la province à une puissance étrangère. Santa-Anna ne cessa, pendant tout l’espace de temps écoulé de 1841 à 1844, de vendre successivement et à son profit tout ce qu’il put détacher des propriétés des missionnaires. Tout le Mexique vit dans cette conduite le ferme propos de livrer ce territoire aux Anglais ; partout on s’émut, partout on affirma avec indignation qu’il existait un traité secret entre Santa-Anna et l’Angleterre pour la cession de la Californie.

En présence de ces murmures, Santa-Anna, qui jusqu’alors avait évité avec grand soin de donner le moindre motif de plainte à la Grande-Bretagne, crut devoir changer de tactique. Soit qu’il prît à tâche de dérouter l’opinion en montrant qu’il conservait toute sa liberté vis-à-vis du gouvernement anglais, soit qu’il voulût prouver à l’Angleterre qu’il avait le droit de compter sur sa patience, il se permit de l’outrager. Au mois de septembre 1843, dans une fête donnée au palais national de Mexico à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance, les drapeaux pris sur les Texiens figurèrent en trophée dans la salle de bal. Parmi ces drapeaux, le chargé d’affaires de la reine Victoria ne fut pas peu surpris de reconnaître les couleurs de son pays ; il s’en plaignit aussitôt au dictateur, et demanda que les drapeaux dont on faisait si injustement parade lui fussent immédiatement livrés. Santa-Anna refusa durement de faire droit à ces réclamations ; un débat s’élevé, à la suite duquel le chef du gouvernement mexicain chargea son ministre à Londres de demander le rappel du plénipotentiaire anglais. Il y avait certainement là cause de guerre, et le cabinet de Saint-James nous a prouvé qu’il n’attendait pas toujours des motifs aussi plausibles pour recommencer les hostilités ; mais l’Angleterre tenait à ménager Santa-Anna, de qui elle pouvait obtenir, sans compromettre