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se réjouit de ses blancs chevreaux. Déjà naviguent sur les larges vagues les nautoniers enflant leurs voiles sinueuses au souffle clément de Zéphyre. Déjà les buveurs entonnent Evohé en l’honneur du père des raisins, la tête ceinte des corymbes en fleur du lierre. Les belles œuvres industrieuses occupent les abeilles nées des flancs des taureaux, et, assises sur la ruche, elles fabriquent les blanches beautés des rayons humides aux mille trous. De toutes parts, la race des oiseaux chante à voix sonore, les alcyons autour de la vague, les hirondelles au bord des toits, le cygne sur les rives du fleuve, et sous le bois le rossignol[1]. Mais si les chevelures des plantes s’épanouissent, si la terre fleurit, si le pasteur joue de la flûte, et si les troupeaux à belle toison, sont charmés, si les nautoniers naviguent, si Bacchus est en danse, si la gent ailée exhale ses concerts, et si les abeilles sont en travail pour enfanter, comment donc ne faut-il pas que le poète aussi chante un chant harmonieux au printemps ? »

Bien que le plus grand nombre des traits qui composent ce tableau entrent d’ordinaire, bon gré, mal gré, dans toute description du printemps, et que la poésie, en émigrant vers le nord, n’ait cessé de s’inspirer et de se ressouvenir de ces mêmes anciennes peintures du midi, comme si dans leurs objets elles restaient toujours présentes, on peut s’assurer qu’il n’en était pas ainsi pour Méléagre, et qu’il avait bien réellement sous les yeux le spectacle fortuné qu’il décrit. Dans un autre poème ancien[2], on possède, en effet, une description de Tyr, de cette île rattachée au continent, toute pareille à une jeune fille qui nage, offrant au flot qui la baigne sa tête, sa poitrine et ses bras étendus, et appuyant ses pieds à la terre : là seulement, est-il dit, le bouvier est voisin du nocher, et le chevrier s’entretient avec le pécheur ; l’un joue de la flûte au bord du rivage, tandis que l’autre retire ses filets ; la charrue sillonne le champ tout à côté de la rame qui sillonne les flots ; la forêt côtoie la mer, et l’on entend au même lieu le retentissement des vagues, le mugissement des bœufs et le gazouillis des feuilles. C’est le voisinage du Liban qui amène ce concours, cette harmonie parfaite des diverses scènes de la marine et du paysage. Ainsi, le printemps de Méléagre n’était pas un idéal dans lequel,

  1. André Chénier avait traduit par provision ces deux vers, pour les placer ensuite quelque part :
    L’alcyon sur les mers, près des toits l’hirondelle,
    Le cygne au bord du lac, sous le bois Philomèle.
  2. Les Dionysiaques, ou Gestes de Bacchus, par Nonnus, au livre 40e.