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sur Héliodora, où il nous montre Amour et elle jouant à la paume avec son cœur, et il la supplie de ne pas le laisser tomber, mais de se prêter au jeu et de renvoyer la balle. Quel joli sonnet on aurait fait avec cette idée-là[1] ! Quand on voit chez les Grecs, à partir des Alexandrins, de telles subtilités ingénieuses pénétrer et corrompre la poésie, même celle qui reste à tant d’égards charmante encore, on est tenté de se demander si cette veine sophistique, transmise par les Latins, et qu’on retrouve tout à l’extrémité de leur littérature dans Ausone, n’aurait point pu s’infiltrer d’une manière ou d’une autre jusqu’à ceux des beaux-esprits provençaux ou italiens du moyen-âge, qui ont recommencé comme les autres ont fini. Mais non : ces phases analogues et ces récidives du goût tiennent à des lois générales de l’esprit humain ; on réinvente, à de certains âges et en de certains lieux éloignés, les mêmes défauts, comme quelquefois aussi on rencontre, sans s’être connus et à l’aide de la seule nature, les mêmes beautés. Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir lu Méléagre, on comprend mieux Ovide, et tant de jeux d’esprit, dès long-temps en circulation chez les Grecs, et où le charmant élégiaque latin n’a pas toujours mêlé la même flamme.

Il ne serait pas juste de finir avec Méléagre sur une remarque qui ressemblerait trop à un blâme. On rencontre chez lui, outre les pièces consacrées à ses amours, de belles épigrammes encore et une idylle ravissante de fraîcheur. Il n’existe dans l’antiquité que bien peu d’épigrammes comparables en beauté, et presque en grandeur, à

  1. On ne se ferait pas une juste idée de ce goût que j’appellerai d’avance pétrarquesque, ou plutôt de cet euphuisme et de ce gongorisme de première formation, si je ne citais comme échantillon encore l’épigramme LVIII : « Ne te criais-je pas cela, ô mon Ame : par Cypris, tu seras prise, ô malheureuse en amour, en t’envolant souvent à la glu ? Ne te le criais-je pas ? Le piège t’a prise. Pourquoi en vain te débats-tu dans tes liens ? Amour lui-même t’a lié les ailes, et t’a mise sur le feu, tandis qu’expirante il t’arrosait de parfums, et qu’il te donnait à boire des larmes chaudes dans ta soif ardente. O mon Ame si travaillée, tantôt tu es brûlée par le feu, tantôt tu te rafraîchis en recueillant ton souffle. Pourquoi pleures-tu ? Lorsque tu nourrissais dans ton sein l’intraitable Amour, ne savais-tu pas que c’était contre loi qu’il se nourrissait ? Ne le savais-tu pas ? Reconnais maintenant le paiement de cette belle nourriture, en ayant reçu à la fois du feu et de la neige froide. C’est toi-même qui l’as voulu ; supportes-en la peine. Tu souffres ce que tu as mérité, brûlée que tu es d’un miel cuisant. » - Les anciens faisaient grand usage du miel ; ils le combinaient avec le vin, ils le faisaient cuire au feu ; les poètes érotiques sont pleins d’images empruntés à ces mélanges. Mais n’admirez-vous pas la quintessence ? Et, si l’on ne donnait les preuves textuelles, en croirait-on la Grèce capable à cet âge de pureté encore et de parfaite conservation ?