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Périsse la sagesse et tout son labeur ! je ne sais qu’une chose, c’est qu’Amour a brisé Jupiter lui-même et son vouloir. »

Dans l’épigramme suivante, il s’échappera avec la même vivacité, avec la même incohérence passionnée et de façon à moins choquer nos mœurs, qui ne veulent, en fait d’amour, qu’une seule ivresse. C’est à une suivante qu’il est en train de parler pour qu’elle porte à sa maîtresse un message : il la presse, il la rappelle, il court après ; le mouvement est celui de l’entraînement même et de la naïve impatience

« Dis-lui cela, Dorcas, dis-lui et redis-lui, ô Dorcas, deux et trois fois toutes choses. Cours, ne tarde plus, vole… — Un instant, un instant encore, chère Dorcas, attends un peu ; pourquoi te hâter avant d’avoir tout entendu ? Ajoute à ce que j’ai dit dès long-temps, ajoute… — Mais je déraisonne de plus en plus ; ne dis rien, absolument rien… — Ou seulement… — Non, dis tout, ne t’épargne pas à tout dire… — Et cependant pourquoi est-ce que je t’envoie, ô Dorcas ? Me voilà arrivé moi-même avec toi et avant toi. »

Ce message ardent allait à une certaine Lycaenis, qui paraît n’avoir été qu’une coquette, et à laquelle il reprochait peu après de l’avoir pris par un semblant d’amour. Parmi les autres femmes qu’aima Méléagre, et dont il nous a déjà énuméré un groupe assez complet, il n’est pas impossible de ressaisir les traits, au moins de quelques-unes, et même des différences assez sensibles de physionomie. La petite Timo dura peu de temps, à ce qu’il semble, et ne lui tint guère au cœur ; elle vieillit vite, et il se vengea ou de ses rigueurs, ou plutôt de ses infidélités avec le beau Diodore, par une manière d'épode sanglante, digne d’Archiloque ou d’Horace à Canidie : il la compare pièce pour pièce à un vaisseau qui ne peut plus soutenir la mer. Méléagre a beaucoup vécu dans les ports, dans les îles, en vue des flots ; il affectionne dans ses amours les images maritimes. Nous nous garderons bien de traduire ici cette comparaison trop suivie de la petite Timo avec quelque carène délabrée de Tyr, et mieux vaut passer à la petite Fanie.

Fanie, en grec, veut dire petite lumière, ou même petite lanterne, petit flambeau. Le poète ne manque pas de jouer sur le mot, comme ferait tout galant auteur de madrigal ou de sonnet, comme fera Pétrarque lui-même. Ce n’est point cette fois par ses flèches, ce n’est pas même par son flambeau qu’Amour lui a mis la flamme au cœur : il a suffi d’une toute petite étincelle. Il y a là de quoi broder, et l’amant bel-esprit ne s’en fait faute. Mais voici qui indique un sentiment