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l’univers ; mais, si l’univers est sous mes yeux et non pas lui, tout au contraire je ne vois rien. »

Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé !


Il arrive à Méléagre, qui rappelle si à l’improviste Lamartine, de faire songer également à Virgile ; il avait dit avant celui-ci, et plus brièvement, le non ignara mali miseris succurrere disco :

J’ai, pour avoir souffert, appris à compâtir[1].


C’est de lui non moins que d’Asclépiade, qu’André Chénier a pu emprunter le motif d’une de ses élégies à l’antique : O Nuit, j’avais juré d’aimer cette infidèle, etc. Voici l’épigramme, qui se peut bien mettre dans la bouche d’une femme abandonnée, se plaignant d’un amant parjure : « Nuit sacrée, et toi Lampe, aucun autre que vous, mais vous seuls, nous vous prîmes tous les deux à témoin dans nos sermens, et nous nous jurâmes, lui de me toujours chérir, et moi de ne le jamais quitter ; nous le jurâmes et vous reçûtes la commune promesse. Et maintenant il dit que ces sermens ont été emportés par l’onde : et toi, Lampe, tu le vois, lui le même, dans les bras des autres. »

Nous prenons surtout Méléagre au moment où, renonçant décidément aux Muïscus, aux Dion, aux Théron, il célèbre d’une flamme avouable, et par momens délicate, les Zénophila, les Fanie, les Héliodora, et tant d’autres beautés qui remplissent son cœur et n’en font que cendre. De la subtilité, de la manière sophistique, du mauvais goût, il en a certes beaucoup trop, et nous le dirons tout à l’heure ; mais tâchons auparavant de bien pénétrer son genre de passion, de tendresse même (car il en a aussi), et de saisir son tour d’imagination hardie et vive. C’est lui qui a dit : « Il y a trois Graves, il y a trois Heures, vierges aimables ; et moi, trois désirs de femmes me frappent de fureur. Est-ce donc qu’Amour a tiré de trois arcs, comme pour blesser, non pas un seul cœur en moi, mais trois cœurs ? » Ce chiffre trois n’est : pas son dernier mot, et bientôt il l’outre-passe. Dans sa flamme amoureuse croissante, il s’écrie : « Ni la boucle de cheveux de Timo, ni la sandale d’Héliodora, ni le vestibule de la petite Démo, toujours arrosé de parfums, ni le tendre sourire d’Anticlée aux grands yeux, ni les couronnes fraîchement écloses de Dorothée, non, non,

  1. Οἶδα παθὼν ἐλεεῖν, Epig. XLI.