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qu’on retire directement des végétaux dont elles portent le nom. Il en a conclu que chez les mélipones la cire n’était pas une production de la vie animale, mais que recueillie sur les végétaux, elle ne faisait que traverser le corps des insectes pour reparaître avec toutes ses propriétés.

Ces conséquences viennent entièrement à l’appui de la doctrine physiologique en vertu de laquelle le règne végétal seul serait chargé de créer les élémens immédiats de tous les êtres animés, élémens que les animaux puiseraient tout préparés dans leur nourriture, et qu’ils ne feraient en quelque sorte que détruire pour les rendre au monde extérieur. Dans un de nos précédens articles[1], nous avons exposé en détail cette grande idée, que M. Dumas a soutenue avec toute la puissance de son talent. Depuis, MM. Dumas et Milne Edwards s’étaient réunis pour tenter sur nos abeilles communes des expériences qui donnent des résultats contraires à cette théorie. En effet, ces deux savans nourrirent pendant quelque temps des abeilles avec du miel pur, après s’être préalablement assurés, par une analyse exacte, de la quantité de cire que renfermait le corps d’une abeille. Le miel lui-même était soigneusement analysé. Au bout d’un certain temps, on pesa et on analysa le produit du travail de ces industrieux insectes. On reconnut que la cire renfermée dans les gâteaux égalait au moins trois fois la quantité de cette substance que les abeilles avaient pu recevoir par les alimens. La conséquence était évidente. Les abeilles avaient métamorphosé le miel en cire ; l’organisme animal avait créé un élément organique. Ces résultats étaient en contradiction flagrante avec la doctrine soutenue par M. Dumas. Ce savant n’hésita pas néanmoins à les publier avec cette loyauté qu’on est certain de rencontrer chez tout homme d’un vrai mérite.

Les expériences faites par MM. Boussingault, Dumas et Payen, sur des vaches laitières, avaient donné des résultats tout autres. Ici la quantité de matière grasse contenue dans le lait représentait assez exactement ce que l’animal avait pu en absorber dans ses alimens, car le foin et la paille, nourriture en apparence si maigre, renferment une proportion considérable de principes gras. Ces différences, ces contradictions apparentes prouvent que la question de l’origine des élémens organiques est loin d’être encore résolue, et, sans doute, on finira par reconnaître que les théories en lutte sont toutes deux trop exclusives. Chez les êtres organisés et vivans, la nature procède rarement d’une manière simple. Existe-t-il plusieurs moyens d’atteindre le même but ? Bien loin de s’astreindre à faire un choix, elle semble parfois se complaire à les mettre en œuvre tous à la fois. Ainsi s’expliquerait la divergence d’opinion qui partage en ce moment les physiologistes. L’animal peut fort bien employer, sans les modifier d’une manière essentielle, les principes utiles qu’il rencontre tout faits dans les végétaux ; mais il nous semble hors de doute qu’il doit pouvoir également en former de toute pièce avec les

  1. Revue des Deux Mondes : Tendances modernes de la Chimie.