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des ponts-et-chaussées, il ne peut, comme le maréchal-des-logis d’artillerie, sortir des rangs subalternes : il ne sera jamais ingénieur.

Qu’on ne se méprenne pas ici sur nos intentions. Les avantages assurés à l’École Polytechnique sont précisément ce qui attire dans son sein la fleur des jeunes intelligences de la nation. Ce sont eux qui valent à la France ces ingénieurs, ces officiers dont l’Europe envie le savoir à la fois théorique et pratique. A nos yeux, toute mesure tendant à diminuer cette institution modèle serait déplorable. En combattant les idées de M. Berrens, nous avons voulu seulement plaider en faveur de ces travailleurs libres que le manque de fortune ou toute autre considération ont écartés de l’enseignement polytechnique et des carrières dont il est le prélude obligé, pour ces hommes isolés dont personne ne s’inquiète, parce qu’ils ne font partie d’aucun corps, d’aucune administration. Eux aussi sont dignes d’intérêt, et, pour récompenser leurs veilles, ce n’est pas trop de quelques chaires de professeur, de quelques fauteuils d’académicien. En exprimant cette pensée, nous sommes certains d’être compris par tous les membres d’un corps qui s’est toujours distingué autant par son libéralisme que par sa science.

Les regrets de M. Berrens nous paraissent d’ailleurs peu fondés. Les Annales des mines, les Annales des ponts-et-chaussées sont presque uniquement alimentées par des écrits sortis de la plume des anciens élèves de l’école. Les Annales de physique et de chimie, les journaux de mathématiques, renferment chaque jour de nombreux travaux venus de la même source. Les polytechniciens ne s’écartent donc point, autant que semble le croire M. Berrens, d’un des buts de leur institution. Si un grand nombre d’entre eux s’occupent plus particulièrement des applications relatives à leur carrière, d’autres consacrent leurs veilles à la science proprement dite. La composition de l’Académie est là pour le prouver. L’École Polytechnique y compte de nombreux représentans. Dans l’espace de trente-huit ans, de 1794 à 1832, vingt promotions d’élèves ont fourni à l’Académie 30 membres résidens, 3 membres libres et plusieurs correspondans. C’est presque un académicien par année. De ces 33 vétérans de l’école, 22 siègent encore aujourd’hui au palais de l’Institut, et, si la mort faisait demain un vide parmi eux, s’il s’agissait de les remplacer, on compterait sans doute parmi les concurrens plus d’un de leurs conscrits.

Si de nouvelles institutions devaient venir en aide à quelques sciences, il faudrait songer surtout à celles qui, par leur nature même, s’adressent bien plus à l’intelligence qu’à la pratique, et dont les heureux effets ne se manifestent en quelque sorte que d’une manière détournée. Telles sont les sciences naturelles. Celui qui cherche à pénétrer les secrets de la nature par une observation patiente, souvent plus difficile que l’expérimentation, frappe difficilement le public par des résultats brillans à la portée du grand nombre. Une seule expérience décisive peut parfois démontrer la conception la plus hardie du chimiste ou du physicien, il lui est possible de l’inventer, de la