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ailleurs légitime. L’historien tient bon avec eux ; on dirait qu’il combat pied à pied à côté de Vaifre, dans cette espèce de Vendée désespérée, qui n’a laissé dans les chroniques que de rares vestiges. Lutte trop inégale ! l’Aquitaine est finalement reconquise, et toute reprise de civilisation encore une fois ajournée.

M. Fauriel est trop équitable pour ne point rendre à tout personnage historique la part qui lui revient, et pour sacrifier aucun aspect de son sujet. On a lieu toutefois de remarquer que Charlemagne ne grandit point dans ses récits ; il n’y apparaît qu’un peu effacé et dans un lointain qui n’ajoute pas précisément à l’admiration. Lorsque l’historien veut résumer en un seul chapitre l’ensemble de cette administration et de ce règne, il a l’intention parfaite de ne juger le monarque que sur des actes positifs, mais il ne l’embrasse peut-être pas suffisamment selon le génie qui l’animait. Il fait assez bon marché en Charlemagne des vues générales d’administration et de politique, et ne paraît l’apprécier, en définitive, que comme un grand caractère et une volonté énergique appliqués avec intelligence à des cas journaliers de gouvernement. Ce jugement peut être exact ; il a l’air d’être rigoureux. Puisque les documens historiques légués par ces âges sont si arides, si évidemment incomplets, ils réclament une sagacité qui les interprète et les achève. M. Fauriel le sait bien. Or, lui qui tire si heureusement parti d’un fragment, d’un vestige de texte, en faveur de ses populations vaincues ou de ses poésies populaires, il n’applique pas également ici cet esprit de divination au grand homme ; les chroniqueurs pourtant ne nous ont transmis de lui que des traits secs et nus, qu’il s’agirait aussi de revivifier. On peut observer que la méthode de M. Fauriel ne va pas à mesurer les colosses historiques ; il a besoin de diviser, de subdiviser ; il ne fait bien voir que ce qu’on peut voir successivement. Il excelle à analyser et à recomposer le fond d’une époque, à suivre dans un état social troublé la part des vainqueurs, la part des vaincus, à donner au lecteur le sentiment de la manière d’exister en ces âges obscurs ; puis, quand il ne s’agit plus des choses, mais d’un homme et d’un grand homme, il hésite et tâtonne un peu, ou du moins il s’enferme dans des lignes circonspectes, rigoureuses ; il ne rassemble pas son coup d’œil en un seul éclair ; ces éclairs sont la gloire des Montesquieu. J’ai dit tout ce qui me semble des inconvéniens comme des qualités.

Charlemagne, de son vivant, avait donné Louis-le-Débonnaire à l’Aquitaine comme roi particulier, et le pays, toujours prompt, se ré