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précédens ; pour les condamner, il faudrait condamner l’histoire. Les honnêtes gens se trouvent fort bien de la sagacité de Walpole. Il y a, tout au commencement du règne de George III, un délicieux portrait du président Onslow, l’idéal du président de la chambre des communes, attaché aux formes qui conservent le fond, ami de l’ordre, scrupuleux observateur des coutumes parlementaires, vigilante sentinelle du règlement ; la frivolité si souvent reprochée à notre Horace ne l’empêchait pas de comprendre toute l’utilité d’un tel personnage. C’est surtout dans la narration fine de l’anecdote qu’il excelle : il n’y a rien de plus touchant que son récit des tristes amours de Sophie de Zell, femme de George Ier, et dont l’amant, le comte de Conigsmark, fut assassiné et enterré sous le lit même de la princesse, pendant que Sophie était conduite dans une forteresse où elle resta vingt-cinq ans prisonnière. J’en veux un peu aux romanciers de notre époque, dont le commerce avec l’histoire réelle a été fatal à cette dernière, sans rapporter grand bénéfice au roman proprement dit. On a brouillé tous les faits, obscurci tous les caractères et soulevé des doutes sur tous les points historiques. L’Allemagne, l’Angleterre, et je crois aussi la France, ont travaillé, par exemple, à qui mieux mieux sur la vie si intéressante de la femme de George Ier. La vérité, telle qu’Horace Walpole la rapporte est plus pathétique que toutes les fictions du monde.

Horace Walpole avait une des meilleures originalités de style, l’originalité simple. Il n’essayait point de jeter sur le mot la couleur qui manquait à son esprit ; sa phrase jaillissait nue et fine, souple et aiguë, comme son idée. Que de théories n’a-t-on pas faites sur le style ! Il n’y en a qu’une bonne, avoir le style de sa pensée, celui qui répond à l’intimité de l’être qui écrit. Les lettres de Walpole, vives, prestes, faites sous l’impression du moment, sont la plus délicieuse lecture du monde. Ses mémoires historiques n’ont pas moins de valeur, malgré la simplicité ou plutôt à cause de la simplicité et de la facilité du ton. C’est une plume qui ne brille que par le tranchant, comme une bonne lame, et qui vous dissèque et vous découpe merveilleusement l’époque entière. Vous avez toutes les minuties d’une société, non pas comme chez Dangeau et Pepys, sans discernement et sans choix, mais en connaissance de cause, avec un jugement et un tact très délicat, et une sévérité qui n’est que l’exercice d’une sagacité naïve.

On ne peut confondre sa plume avec celle d’aucun autre. Qu’ils sont