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efforts mêmes) dans cette reproduction éparse et monotone des mêmes horreurs, c’est bien la moindre chose que, nous lecteurs, nous ressentions un peu en fatigue aujourd’hui ce qu’eux, nos semblables, durant des siècles, ils ont subi en calamités et en douleurs. Sa conscience d’historien porte M. Fauriel à rechercher et à représenter ces époques morcelées, confuses, haletantes, telles qu’elles furent au vrai ; il les rend avec leurs inconvéniens, sans faire grace d’aucun. Il n’y établit pas de courant factice et n’y jette pas de ces ponts commodes, mais artificiels, comme font d’autres historiens ; son récit est adéquate aux choses, comme dirait un philosophe.

M. Fauriel, nous l’avons assez marqué, ne visait en rien à l’effet, ou plutôt l’effet qu’il désirait produire était exactement l’opposé de ce qu’on appelle ordinairement de ce nom. Il ne voulait jamais occuper le lecteur de lui-même ; il se proposait uniquement de lui faire connaître le fond des objets et de dérouler à la vue, dans leur réalité obscure et mystérieuse, certains grands momens de décomposition et de transformation sociale, jusqu’à présent mal démêlés. Dans ce but, il croyait avoir à préparer l’imagination, l’intelligence de ce lecteur moderne, et devoir l’acheminer dans le passé avec lenteur et par voie de notions successives. C’est un peu la raison pour laquelle il a été difficile à un public paresseux de l’apprécier à toute sa valeur ; car il importe de le lire consécutivement pour saisir la chaîne entière des idées, dont l’une n’anticipe jamais sur l’autre et dont chacune ne sort qu’en son lieu. Je suis assuré que quiconque lira son histoire de la Gaule, puis son cours, avec l’attention qui convient, sentira que l'effet général est de lui agrandir la vue historique, de lui montrer l’humanité sous d’autres aspects plus larges et à la fois très positifs, tellement qu’il devient difficile, après cela, de se contenter de la manière extérieure de peindre propre à quelques historiens, ou des petits traits de plume et des pointes perpétuelles de certains autres ; mais, pour goûter ce genre d’exposé et ne pas se rebuter des lenteurs, il faut se sentir attiré vraiment vers le fond des choses et par ce qui en fait l’essence. C’est à ce sérieux et solide intérêt, à cette curiosité tout appliquée et tout unie, que s’adresse M. Fauriel : l’esprit qui se laisse guider se trouve, à la fin, avoir gagné bien de la nouveauté et de l’étendue avec lui. Quelqu’un qui l’a bien connu disait spirituellement de sa manière, qu’il procédait comme par assises, graduellement, qu’il avait le procédé en spirale. — Je ne prétends point toutefois, à la faveur de ces explications que je crois justes, aller jusqu’à soutenir qu’il n’abuse point de sa méthode, qu’il ne l’aggrave