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critique, et réfuté de main de maître. Burke écrivait avec la même facilité que Grenville parlait ; de son imagination tombaient à torrens métaphores, allusions, images, idées brillamment exprimées et cependant correctes. Cette imagination vivante cueillait partout des fleurs ; elle en eût emprunté dans l’occasion aux métamorphoses d’Ovide. Il avait de l’esprit, apprêté sans doute, mais toujours prêt ; du jugement, moins souvent ; comme il voulait briller sans cesse et cherchait peu la concision, il paraissait n’avoir d’autre but que d’être applaudi. Son instruction était immense ; mais l’amour-propre en avait la clé. Quelle que pût être son ambition réelle ; il semblait moins s’embarrasser du résultat des votes que chercher la gloire d’avoir bien parlé. Cette sorte d’éloquence le contentait et faisait plaisir à son parti ; la chambre finit par se fatiguer de cette série de dissertations. Burke était entré trop tard dans la vie publique, et il avait trop d’estime de lui-même pour s’amuser à étudier des hommes dont la capacité lui semblait inférieure à la sienne : aussi joua-t-il un rôle peu important dans la politique réelle ; c’est ce qui arrive en général à ceux qui ont exercé long-temps une profession ou vécu de la vie du cabinet. Ils croient ou pouvoir juger des hommes par les livres, ou les mener aussi aisément qu’ils les avaient précédemment dirigés par la flatterie. Tout parvenu doit être plus modeste qu’avant sa grandeur ; on tolère moins aisément l’insolence d’un inférieur qui s’est élevé que celle de l’homme qui a gardé sa position première. »

Cela est injuste et inacceptable et sent son gentilhomme dégoûté. Un plus aimable portrait est celui du résurrecteur de la vie chevaleresque en 1783. Vers la fin du XVIIIe siècle, on vit un jeune lord détruire son château, le reconstruire, lui donner des créneaux, des tourelles, des machicoulis, fortifier ses tours à la façon du XIIe siècle, et armer sa valetaille exactement comme les archers du roi Jean étaient armés. Il ne se contenta pas de cet essai bizarre. Il formula le plan d’une association féodale, qu’il fit imprimer et distribuer parmi ses pairs. L’Angleterre, selon lui, marchait à la ruine en s’éloignant du régime féodal, et sa grandeur politique dépendait de son retour intégral vers les institutions du moyen-âge. Il se nommait le duc d’Egmont, et le ministre était sur le point de lui accorder la permission de fonder un petit royaume féodal dans l’île Saint-Jean, quand le général Conway entra dans la salle du conseil, prit sur la table le plan que l’enthousiaste avait soumis à l’inattention du ministre, et fit ressortir le ridicule dont allait se couvrir le gouvernement.

La malice, on le voit, ne manque pas plus à ce volume qu’aux volumes