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Fauriel a eu en un sens le génie historique (et il n’est que juste de lui en accorder une part bien originale), on peut dire que ç’a été dans l’application à la littérature et à la poésie qu’il en a fait preuve le plus heureusement ; lorsqu’il a abordé l’histoire pure, une certaine vigueur de coup d’œil peut-être dans l’appréciation politique des grands hommes, et à coup sûr certaines qualités d’exécution, lui ont fait défaut pour remplir l’idée qu’on peut concevoir de l’historien complet ; mais, dans l’interprétation et l’intelligence historique des poésies et chants nationaux, des romances ou épopées populaires, il a été un maître sagace, incomparable, et le premier qui ait donné l’éveil chez nous. Et, remarquons-le, il ne se contentait pas de dégager par une analyse habile ce qu’il pouvait y avoir d’historique dans ces premiers chants lyriques, dans ces fragmens romanesques, et de le mettre à nu ; il sentait vivement aussi le charme du poétique qui s’y trouvait mêlé ; il respirait avec délices, toutes les fois qu’il les rencontrait, le parfum de ces mousses sauvages et de ces fleurs des landes. L’homme de goût, l’homme délicat et sensible se retrouvait jusque dans l’érudit en quête du fond et dans l’investigateur des mœurs simples. On n’était guère accoutumé à entendre le sentiment et le goût de cette sorte en France après les siècles de Louis XIV et de Louis XV ; aussi Fauriel put-il sembler quelquefois ne pas faire assez de cas des époques littéraires constituées et donner ouvertement la préférence à des âges trop nus ; il avait pour ceux-ci un peu de cet amour dont Ulysse aimait sa pierreuse Ithaque. Le reste, si beau que cela parût, lui tenait moins à cœur. Les dieux littéraires les plus voisins de nous et réputés les plus incomparables dans nos habitudes d’admiration n’étaient certainement pas ceux sur lesquels il reportait le plus volontiers ses regards. C’est à ce propos qu’il échappa un jour à un critique célèbre, au plus littéraire et au plus brillant de tous, de dire spirituellement : « Fauriel, après tout, c’est un athée en littérature. » - Un athée ! oh ! non pas ; mais il croyait surtout à la religion naturelle en littérature. Or, ce culte de la religion naturelle mène quelquefois un peu loin en tout genre, et dispose, si l’on n’y prend pas garde, à trop dépouiller les temples et les autels, même littéraires, de l’éclat et de la pompe qui en font convenablement partie, et qui sont aussi un des aspects nécessaires de certaines époques glorieuses. Je ne nierai donc pas qu’il n’y eût chez Fauriel quelque excès et quelque trace de rigueur dans ce retour à la simplicité. Ce n’est pas à dire que son goût sincère et déclaré pour l’âge spontané des poésies et pour leurs produits naturels fût un goût absolument exclusif ; je pourrais citer à cet ordre de prédilections habituelles