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tant d’éloquens discours et des jeunes paroles aux ailes légères qu’on ne peut ressaisir[1], la traduction que Fauriel publia, en 1823, de Carmagnole, d’Adelghis et de quelques morceaux critiques qui s’y rapportent, offre du moins un témoignage subsistant de ce moment littéraire si animé et si plein d’intérêt. Il n’est pas inutile d’y insister encore après plus de vingt ans. Sans doute il nous importe peu aujourd’hui qu’Hermès Visconti, dans un spirituel dialogue, ait trouvé de bonnes raisons contre l’arbitraire des règles relatives à l’unité de temps et de lieu, que Manzoni en ait trouvé de non moins piquantes et de décisives dans sa lettre à M. Chauvet : c’étaient là des questions élémentaires, des discussions en quelque sorte négatives, auxquelles les réformateurs se voyaient ramenés sans cesse par des chicanes obstinées dont le temps a fait justice ; mais il était d’autres soins plus essentiels et plus intérieurs de la réforme dramatique tentée alors, d’autres coins marquans de son but, qu’on ne saurait trop rappeler, car il n’a peut-être pas été fait, depuis, un seul pas qui ait avancé la cause de l’art dans la même voie, ou qui bien plutôt ne l’ait pas fait rétrograder, en la compromettant par tous les oublis et tous les excès.

Manzoni, on le sait, travaillait lentement ses tragédies ; cette lenteur, qui peut tenir à diverses causes, à la délicatesse et à la fantaisie même d’une organisation nerveuse, aux irrégularités de la machine physique, qui ne suit pas toujours le train de l’esprit, n’est pas chose à louer absolument en elle-même : ce qui mérite d’être loué à coup sûr et proposé en exemple, c’est la conscience qu’il a mise à préparer les matériaux et à étudier les sujets de ses compositions. Ainsi, pour son Adelchi ou Adelghis, lorsqu’il commença sérieusement à s’en occuper après son retour de Paris à Milan, dans les derniers mois de 1820, que fit le poète ? Il se mit à étudier en historien, en digne émule des hommes qu’il venait de visiter, tout ce qu’il put trouver dans les chroniques sur les circonstances de la domination et de l’état des Lombards en Italie ; il ne lut pas superficiellement, à la légère, et pour se donner le plaisir d’ajouter une bordure tant soit peu locale et une teinte quelconque de moyen-âge à une œuvre de fantaisie : non, il aborda le fond même, il s’enfonça dans la collection Rerum italicarum de Muratori ; il hanta même, comme il le disait en souriant, quelques-uns des dix-neuf gros complices de M. Augustin Thierry[2]. Les rapports immédiats de l’histoire de Charlemagne avec celle des

  1. Nous ne sommes pourtant pas sans en avoir ressaisi quelque chose, et nous devons beaucoup à M. Cousin dans tout ce qui suit.
  2. La collection de dom Bouquet et de ses continuateurs.