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renoue étroitement. Les deux tragédies de Carmagnola et d’Adelchi, c’est-à-dire ce que le drame romantique a produit de plus distingué en Europe durant cette période de 1815 à 1830, ne sauraient sans doute se considérer comme un appendice de l’histoire littéraire du romantisme en France sous la restauration ; mais il nous suffit que ces deux œuvres remarquables y tiennent par plusieurs de leurs racine. L’Italie, aux diverses époques, a toujours tant influé sur la F par sa littérature, qu’il était bon qu’à un certain moment la France le lui rendît en la personne d’un si noble poète dramatique.

En s’appliquant à la composition de ses tragédies historiques indépendamment de toute règle factice, en combinant l’étude sévère et la passion, la fidélité à l’esprit, aux mœurs et aux caractères particuliers de l’époque, et les sentimens humains généraux s’exprimant dans un langage digne et naturel, Manzoni ne faisait autre chose que réaliser avec originalité le vœu déjà ancien de son ami, et donner la vie poétique aux idées qu’ils avaient autrefois agitées ensemble. Lorsque Fauriel vit l’œuvreet lut ce Carmagnola à lui dédié, il put aussitôt reconnaître son idéal et s’écrier : Le voilà ! La critique, évidemment, avait préexisté ici, et, jusqu’à un certain point, présidé à la tentative de l’art, mais une critique sage, ramenée aux notions premières du bon sens, y dirigeant et y réduisant sa réforme. La vieille critique ayant comme à plaisir encombré la scène de toutes sortes d’appareils et de barrières qui étaient autant de ressorts pour la médiocrité et de piéges pour le talent, il avait fallu déblayer le terrain au préalable, avant de s’y lancer de nouveau. C’est une partie de la tâche que s’imposèrent en Italie, dès 1818 et 1819, les jeunes rédacteurs du journal intitulé il Conciliatore, tous amis de Manzoni, et dont le groupe nous offre plus d’un nom connu, Silvio Pellico, Grossi, Hermès Visconti, Berchet. Ce journal, qui ne subsista guère plus d’une année, et que les circonstances politiques interrompirent, est indispensable pour la connaissance précise de ce que projetait la jeune école par-delà les monts. Un voyage que Manzoni fit à Paris sur la fin de 1819, et qui se prolongea durant une moitié de 1820, dans le temps même où paraissait son Carmagnola, le remettait en communication active, habituelle, avec l’ami dont il était séparé depuis des années. On se retrempa dans des entretiens à fond sur tous les sujets sérieux et délicats qui occupaient alors l’élite des esprits. MM. Augustin Thierry et Cousin prenaient une vive part à ces discussions, M. Cousin surtout, qui fit le voyage d’Italie et y rejoignit Manzoni un ou deux mois après, comme pour y continuer avec feu la conversation de la veille. A défaut de