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la traduction en français des tragédies de Manzoni (1823) ; la seconde fut la publication et la traduction des chants grecs populaires (1824) ; et je compte enfin pour la troisième et la plus grave, parce qu’elle fut la plus prolongée, le cours public dont Fauriel se trouva chargé après 1830. Si utile que le savant maître ait été dans cette dernière fonction, il y a lieu de regretter sans doute qu’elle l’ait empêché de mener à fin la grande entreprise historique de toute sa vie.

Il n’en est pas ainsi des deux premières tâches qu’il s’imposa et qui pourraient aussi bien s’appeler des inspirations de son esprit et de son cœur. Sa tendre amitié et son admiration sincère pour Manzoni lui suggérèrent l’idée de le faire connaître à la France. C’est là un épisode trop essentiel et trop aimable dans la vie de Fauriel, un épisode trop honorable à la littérature française elle-même, pour que nous n’y insistions pas ici comme nous devons. Parler de Manzoni un peu en détail à propos de Fauriel, ce n’est pas m’écarter de ce dernier, c’est être fidèle à tous deux.

Je dirai plus et sans excéder en rien la plus exacte vérité : Manzoni ne se peut bien connaître à fond que par Fauriel ; celui-ci est l’introducteur direct, secret et presque nécessaire, à l’étude de l’excellent poète. Manzoni, jeune, tenait à honneur de se dire, non-seulement son plus tendre ami, mais son disciple. Un tel mot, de poète à critique, glorifie assez celui qui le profère pour qu’on ne craigne pas de le redire à la louange des deux. Fauriel le rendait bien d’ailleurs à son ami, moins encore par la manière dont il le louait que par celle dont il le sentait : lui, si ennemi des formes apprises et convenues, de tout ce qui avait une teinte de rhétorique ou d’académie, il n’en était que plus sensible à la poésie, à une certaine poésie pathétique et simple ; or, il y avait deux lectures en ce genre qui ne lui donnaient pas seulement l’émotion morale, mais qui avaient le pouvoir d’accélérer son pouls de le faire battre plus vite : c’étaient certains chœurs d’Euripide et les chœurs de Manzoni.

La mère de Manzoni, la fille de Beccaria, vint en France sous le Consulat et y vécut beaucoup dans la société d’Auteuil, dans l’intimité de Cabanis et de Mme de Condorcet ; lorsque son fils la rejoignit quelque temps après ou y revint avec elle, il se trouva initié dans le même monde, et il y connut Fauriel. C’est à lui qu’il montrait d’abord (en février 1806) la pièce de vers, qui fut son tout premier début, sur la mort de Carlo Imbonati, cet admirable ami que venait de perdre sa mère. Fauriel, en faisant accueil à une production si pleine de chaleur et brillante de promesses, entra aussitôt avec le jeune poète dans